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Il était une fois, dans un village nommé Totché, un grand chasseur du nom de Houkanli. Houkanli avait sa propre concession et était père de deux petites filles : Awa et Dadjo. Sa femme, Yessoussi, était une femme de nature perverse et très égoïste. Dans tout Totché, Houkanli était considéré comme le meilleur chasseur, car il avait tué à lui seul le grand serpent qui empêchait les cultivateurs de se rendre à leurs champs. Il était loin d'être un lâche. Le jour où le roi de Totché avait offert une prime pour la mort du grand serpent, au moins quinze chasseurs s'étaient présentés.
Cependant, parmi eux, seul Houkanli avait réussi à tuer le serpent et avait ramené la tête ainsi que la queue au palais, prouvant ainsi au roi qu'il avait accompli la mission.
Depuis ce jour-là, Houkanli fut nommé le grand chasseur de Totché. Après la mission du grand serpent, il avait accompli plusieurs autres quêtes, comme celle de la calebasse magique. Dans sa famille, il était le deuxième chasseur, son père ayant également été un grand chasseur. Pour Houkanli, sa petite famille comptait plus que tout, mais sa femme, elle, ne pensait qu'à elle-même. Elle disait souvent que la chasse était une cause perdue pour Houkanli. Elle souhaitait un mari capable de subvenir à ses besoins financiers et de lui permettre de rivaliser avec la princesse de Totché en matière de style vestimentaire. Mais les maigres économies de Houkanli ne suffisaient qu'à nourrir sa famille.
Chaque soir, Yessoussi se retrouvait autour d'un grand feu avec ses amies, racontant à tout le monde les aspects sombres de la vie de Houkanli et la misère qu'il lui faisait subir. Pour elle, il était un grand lâche. Pendant que Yessoussi passait son temps à dénigrer son mari, Houkanli, lui, s'accrochait aux arbres de la forêt pour surveiller ses pièges.
Il revenait tous les trois jours avec du gibier, même les plus dangereux, dont il tranchait la tête pour les montrer à ses filles. Il voulait leur apprendre que parmi les animaux, certains étaient extrêmement dangereux et qu'il fallait s'en méfier. Après trois jours de chasse, Houkanli passait encore trois jours auprès de sa famille avant de repartir en forêt. Mais certains jours, il revenait bredouille. Yessoussi ne trouvait alors rien d'autre à faire que de l'injurier. Pour elle, rentrer les mains vides était une faute impardonnable.
Trois jours passés près de sa famille, Houkanli retourna dans la brousse. À vingt-cinq mètres, il aperçut un corps massif, noir, couvert de vase, dégoulinant comme un vieux tronc d'arbre saturé d'eau de pluie. Il n'osait plus bouger. Avec toute la prudence dont il était capable, il souleva sa lance, la fit basculer en arrière ; mais, à ce moment précis, sa main se mit à trembler et la lance ne partit pas... Houkanli doutait toujours de ce qu'il voyait.
La bête engagea une nouvelle course. La lance prête à jaillir, Houkanli la vit venir. Il s'aplatit de tout son long sur le sol, mais la créature le dépassa avant qu'il ait eu le temps de jeter son arme. Il se releva, dégagea les cordes sauvages qui avaient retenu la lance, et sortit de sa cachette. Il se mit à courir, guidé par le bruit des feuilles mortes sous les pas de l'animal. Il sautait par-dessus les troncs d'arbres morts et se faufilait entre les branches.
Après un kilomètre, l'animal s'arrêta, et Houkanli surgit derrière lui. Sa lance, projetée avec force, terrassa la bête qui poussa un long cri aigu. Houkanli ne passa pas les deux jours restants dans la brousse. Il rentra au village avec la bête : c'était un sanglier. Yessoussi, très étonnée de voir son mari revenir si tôt, ne cessa de lui poser des questions insidieuses, mais il garda le silence. Elle restait toujours dans ses états habituels.
De nouveau en chasse. L'air était lumineux et doux. La forêt semblait calme et paisible, comme une chasse gardée. Houkanli patientait. Peut-être verrait-il quelque chose. Plusieurs fois, il tendit l'oreille, croyant entendre un bruit...
Non, rien. Deux singes rapides passèrent en se donnant la main. Un gros épervier s'envola. Puis, brusquement, Houkanli sursauta. Cette fois, il ne rêvait pas !
Un bruit lointain venait de naître. Il se rapprochait. Ce n'était ni une voix, ni un cri, mais une course pesante qui ébranlait le sol, un trot sourd, suivi de branches qui craquaient sous la force d'une masse imposante. Pourvu que l'animal ne le repère pas, malgré le quartier de charogne qu'un rabatteur avait jeté non loin.
Non, le bruit venait droit sur lui. Un barrissement retentit non loin. Où les fourrés allaient-ils s'ouvrir ?
Toutes ces réflexions encore mêlées dans son esprit, Houkanli vit les branches s'agiter à deux cents mètres. Brusquement, un éléphant surgit, trompe levée, poussant son cri d'alarme. Juste après, un autre éléphant, bien plus grand et avec une seule défense, émergea des bois. Les deux bêtes couraient lourdement, les arbustes et les bambous se pliaient sous leur passage, comme de simples brins d'herbe. Houkanli comprit vite que le mâle protégeait la fuite du plus jeune. Le petit barrit encore, puis ils disparurent. Houkanli, conscient que ces éléphants étaient des espèces protégées, ne tenta rien contre eux. Il s'abrita dans un grand arbre, soulagé d'avoir évité une confrontation qui aurait pu lui être fatale.
Pendant qu'il était perché, ses pensées dérivèrent vers ses soucis personnels. Houkanli avait toujours désiré un fils pour l'aider dans ses activités de chasse, mais Yessoussi, qui ne pouvait plus enfanter, avait réduit cet espoir à néant. Il n'avait jamais envisagé d'épouser une seconde femme, alors il s'était résigné à sa destinée.
Descendu de l'arbre, il poursuivit son chemin. Dans le faisceau de sa lampe torche, une hyène apparut, émaciée et apeurée. Houkanli vit là une proie facile et se prépara à l'attaquer. Mais alors qu'il s'apprêtait à tirer, il entendit son nom, murmuré à une distance étrange, à la fois proche et lointaine. Un frisson glacé lui parcourut l'échine. L'hyène et lui restèrent immobiles.
Il pensa d'abord qu'un chasseur du village l'appelait. Mais pourquoi ? Dans la brousse, il était strictement interdit d'appeler quelqu'un par son nom, surtout la nuit. La voix résonna de nouveau, cette fois derrière lui. Il se retourna, mais il n'y avait personne. L'hyène, elle, s'était rapprochée, son regard creusé de détresse. Houkanli saisit une nouvelle occasion de l'abattre, mais fut interrompu par une voix féminine, anxieuse... qui semblait provenir de l'hyène elle-même.
Saisi d'effroi, Houkanli lâcha son arme. Il reconnut dans cette voix un appel surnaturel. Tremblant, il entama une incantation, ses paroles se perdant dans l'écho mystérieux de la nuit, invoquant les esprits pour comprendre ce qui venait de se passer...
(INCANTATION)
Adôhou fôfi, fôfi catabolé onou bitibôtô monnon gnikpin égni kpin énan gba.
Hê monnon sô adjinakou oundo kélédjo atikpatô monnon kpa zagandian édjê kafouéti agbotiètiègbo kougbadji man gnonkpon a mon atôwéta bo mon anonwéta alômonnon wli Dan fã gbê.
On lui avait toujours dit que dans la brousse, il verrait des esprits capables de lui adresser la parole, mais cela dépendrait de lui s'il resterait ou s'il rentrerait chez lui victorieux. Aussitôt finie, l'hyène se métamorphosa en une femme d'une beauté rare. Elle était rayonnante, mais entièrement nue. Pour Houkanli, c'était toujours une illusion ou l'œuvre d'un esprit malin. Il n'en croyait pas ses yeux, ce qui expliquait pourquoi il n'arrêtait pas de les frotter. La jeune femme était réellement devant lui. Elle lui expliqua comment et pourquoi elle s'était métamorphosée en hyène. C'était une histoire triste, mais il fallait que quelqu'un la délivre du sort. Sans que Houkanli se confesse, elle savait déjà ce qui tourmentait l'esprit du chasseur. Houkanli parvint à s'entendre avec la femme. Ils passèrent ensemble trois jours dans la brousse, mais avant cela, elle fit comprendre à Houkanli qu'il ne devait jamais l'injurier ou la traiter d'animal : « Ceci est la cause de mon malheur. » Houkanli la surnomma Gbênan, signifiant « l'œuvre de la vie ». Gbênan savait qu'elle passerait le reste de sa vie près du chasseur qui venait de la délivrer, mais qu'un jour, quelqu'un finirait par la traiter d'animal, ce qui marquerait le début d'une nouvelle tragédie pour elle.
Houkanli rentra au village avec Gbênan. Il passa d'abord par le palais avant de regagner sa maison. Yessoussi était absente pour quelques semaines, mais les filles étaient là, attendant le retour de leur père. Elles virent arriver Houkanli, accompagné d'une jeune femme. À première vue, elles accueillirent chaleureusement la belle inconnue avant de connaître la raison de sa présence. Houkanli expliqua à ses filles que cette jeune femme s'appelait Gbênan et qu'elle resterait longtemps avec eux. C'est ainsi que Gbênan vécut avec le chasseur et sa famille. Elle tomba enceinte et donna un fils au chasseur. On aurait dit que le bonheur attendait Gbênan avant de surgir dans la vie du chasseur. Il surnomma son fils Donan. Jusque-là, tout allait bien pour Houkanli et sa petite famille. Il devint un grand homme dans le village, son passage était respecté, et tout le monde s'approchait du grand chasseur pour obtenir des conseils ou solliciter des prêts pour émanciper leurs activités. Il était devenu immensément riche.
Houkanli avait un fils, ce qui faisait de lui un homme très heureux. Gbênan, quant à elle, était également heureuse, mais elle savait que plus la joie grandirait, plus le malheur se rapprocherait d'elle.
Soudain, une jalousie forcenée naquit chez Yessoussi. Cette dernière nourrissait des pensées sombres et des chagrins alimentés par ses amies. On aurait dit un chahut intérieur. Elle savait ce qu'elle devait faire pour découvrir l'origine de cette richesse soudaine. Elle attendit donc le jour où Houkanli organisa une fête pour Donan, à l'occasion de son anniversaire.
Ce fut un grand jour pour cet homme riche. Yessoussi attendit la nuit pour passer à l'action. Ce soir-là, on revenait par les herbages. La lune, à son premier quartier, éclairait une partie du ciel, et un brouillard flottait comme une écharpe sur les sinuosités de la Touque. Yessoussi invita son mari dans sa chambre et l'amadoua. Pour Houkanli, sa femme voulait partager un moment d'intimité avec lui, mais il ignorait qu'elle avait un plan en tête. Elle le fit boire jusqu'à l'ivresse, car, comme l'affirmaient les sages : « la vérité se trouve dans le verre. » Profitant de son état, elle lui demanda tout sur Gbênan. Épuisé et ivre, Houkanli ne pouvait garder aucun secret. Il avoua tout à Yessoussi, sans omettre le moindre détail.
Cette nuit-là, bien des choses se passèrent. Houkanli n'était plus vraiment conscient, il était dans les vignes du seigneur. Yessoussi, rongée par la haine, profita de la situation pour insulter Gbênan de toutes les manières possibles. Le pire fut lorsqu'elle la traita de « bête de brousse. » À ces mots, Gbênan fut profondément chagrinée. Incapable de supporter cette trahison, elle quitta immédiatement la maison, sachant qu'elle avait été trahie par Houkanli. C'était la fin pour elle. Elle retourna dans la forêt, condamnée à reprendre sa vie sous la forme d'une hyène.
Au petit matin, Houkanli se réveilla, très heureux. Le soleil commençait à escalader le sommet des arbres. Après une trentaine de minutes sans signe de Gbênan dans la maison, la triste nouvelle lui parvint. Mais il était trop tard pour intervenir. Pris de haine et de fureur, Houkanli chassa Yessoussi de la maison. Il décida alors de vivre seul avec ses deux filles et son fils, sans permettre à une autre femme de troubler sa paix.