Robert Burns
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Chapter 8 LA POéSIE DE L'AMOUR.

Avant toutes ces pièces et dominant les sentiments qu'elles traduisent, on peut placer, en manière de prélude, les chants à l'amour lui-même. Depuis six mille ans qu'il y a des hommes et qui aiment, comme dirait La Bruyère, les hymnes qu'il a re?us ont été plus nombreux que les levers du soleil. Depuis ceux qui l'ont célébré comme une des forces de la nature et une des joies de l'univers, jusqu'à ceux qui l'ont dénoncé comme le fléau du monde et la plus exécrable des folies, un ch?ur immense d'hymnes triomphaux ou de malédictions a monté vers lui des lèvres humaines.

Il n'est guère de poète qui ne l'ait salué à sa manière, qui n'en ait parlé selon les délices ou les déceptions qu'il a cru qu'il lui devait. Burns avait eu trop souvent affaire à lui pour n'en rien dire. C'était pour lui, ?l'alpha et l'oméga du bonheur humain[543]?, ?la goutte de plaisir céleste?, ?le seul cordial dans cette vallée mélancolique[544]?, ?l'étincelle de feu céleste qui éclaire la hutte hivernale de la misère?; ?sans lui, la vie pour les pauvres habitants des chaumières serait un don de malédiction[545]?. Il l'a chanté, non pas comme le désir universel dont sont travaillés les profondeurs des mers et les entrailles de la terre; son esprit ne généralisait pas ses passions; mais comme ce qui faisait le charme de sa vie, et le plaisir qui effa?ait tous les autres. Et, dans le concert des pièces à l'Amour, son léger air de fl?te a cependant sa place, est original par quelque chose de preste et de délibéré.

Les roseaux verdissent ?!

Les roseaux verdissent ?!

Les plus douces heures que je passe,

Je les passe avec les fillettes, ?!

Il n'y a rien que soucis de tous c?tés,

Et dans chaque heure qui passe ?;

Que signifierait la vie de l'homme,

S'il n'était point de fillettes ?!

Les gens mondains peuvent suivre la richesse,

Et la richesse leur échapper toujours ?;

Lors même qu'ils l'atteindraient enfin,

Leur c?ur n'en saurait jouir ?!

Mais donnez-moi une douce heure vers le soir,

Mes bras autour de ma chérie ?,

Et les soins mondains et les gens mondains

Peuvent aller sens dessus dessous ?!

Pour vous, les graves, qui vous moquez de cela,

Vous n'êtes que des stupides anes ?;

L'homme le plus sage que le monde ait vu

A chèrement aimé les fillettes ?!

La vieille nature déclare que ces charmantes chéries

Sont à ses yeux son plus noble ouvrage ?;

Sa main novice s'est essayée sur l'homme,

Et puis, elle a fait les fillettes ?!

Les roseaux verdissent ?

Les roseaux verdissent ?!

Les plus douces heures que je passe

Je les passe avec les fillettes ?![546]

à c?té de cette pièce et comme suspendue à elle, se trouve l'apologie de l'inconstance que tant de poètes ont faite. Presque tous l'ont faite avec les mêmes images, avec celles qui expriment le mieux la mobilité et la fuite: les flots, les nuages, les couleurs, tout ce qui échappe sans cesse, est insaisissable.

Que la femme ne se plaigne pas

D'inconstance en amour,

Que la femme ne se plaigne pas,

Que l'homme infidèle aime à changer.

Voyez par toute la nature,

Sa loi puissante veut qu'on change.

Dames, serait-il pas étrange

Si l'homme alors était un monstre?

Voyez les vents, voyez les cieux,

La montée de la mer et sa descente;

Soleil et lune se couchent pour se lever,

Et les saisons tournent, tournent.

Pourquoi vouloir que l'homme chétif

Résiste au plan de la Nature?

Nous serons constants, tant que nous pourrons,

Vous ne pouvez pas plus, savez-vous?[547]

?Pouvez-vous contraindre la mer à sommeiller tranquillement, le lis à garder sa fra?cheur, le tremble à ne pas frissonner, pouvez-vous contraindre l'abeille à ne pas voltiger et le col du ramier à ne pas chatoyer, alors vous pourrez contraindre l'amour à durer toujours,? disait un autre poète écossais qui fut presque le contemporain de Burns[548]. Ils sont de l'école de ce personnage de Shakspeare, qui prétendait que, comme un clou en chasse un autre, le souvenir de son dernier amour était chassé par un nouveau, et que celui-ci se fondait comme une image de cire près du feu, ne gardant plus l'empreinte de ce qu'elle était[549]. Ce ne sont pas les métaphores qui ont jamais manqué aux poètes pour rendre la fuite continuelle de l'amour. Peut-être ceux-là seraient-ils encore davantage dans le vrai qui diraient des vents et des flots qu'ils sont aussi inconstants que le c?ur humain.

De ce groupe de poésies amoureuses on peut en rapprocher un autre. Ce sont des pièces impersonnelles. Elles ont été inspirées par des sentiments que Burns n'a pas pu éprouver pour son compte, mais que son esprit, toujours occupé de la même passion, s'est amusé à ressentir. Il y en a toute une série. Ce sont souvent des plaintes de jeunes filles. Elles pleurent l'infidélité, l'exil ou la mort de leur amant. L'une, se promenant un soir d'été, quand les joueurs de cornemuse et les jeunes gens sont en train de jouer, aper?oit son faux ami et s'éloigne en pleurant[550]. Une autre pense à son matelot qui est au loin: pendant que les troupeaux sont haletants autour d'elle, sous le midi, peut-être est-il à son canon, sous le soleil br?lant; quand l'hiver déchire la forêt et flagelle l'air hurlant, elle écoute en priant et en pleurant le rugissement du rivage rocheux[551]. Une veuve des Hautes-Terres se lamente: elle vient vers les Basses-Terres, sans un penny dans sa bourse pour payer son repas. Il n'en était pas ainsi dans les Hautes-Terres; elle avait des vaches qui broutaient sur les collines et des brebis qui couraient sur les mamelons; mais Donald a été tué sur la plaine de Culloden, et aucune femme dans le vaste monde n'est aussi misérable qu'elle[552]. De pauvres filles délaissées gémissent et se repentent d'avoir été trop confiantes et trop faibles. Partout, ce sont des regrets cachés et à peine trahis par un soupir.

Tu briseras mon c?ur, toi, bel oiseau,

Qui chantes sur la branche!

Tu me rappelles les jours heureux,

Quand mon faux ami était sincère.

Tu briseras mon c?ur, toi, bel oiseau,

Qui chantes près de ta compagne!

Car ainsi j'étais aimée et ainsi je chantais,

Et j'ignorais ma destinée[553].

Souvent j'ai erré près du joli Doon,

Pour voir le chèvrefeuille s'entrelacer;

Et tous les oiseaux chantaient leurs amours,

Et ainsi je chantais le mien!

Le c?ur léger, je cueillis une rose

Sur son boisson épineux;

Et mon faux ami m'a dérobé la rose

Et ne m'a laissé que l'épine![554]

Plus tard les regrets sont plus clairs et plus douloureux et la douleur de l'abandon se mêle à la honte et au chagrin de la famille.

Oh! amèrement, je regrette, faux ami,

Oh! douloureusement, je regrette

D'avoir jamais entendu votre langue flatteuse,

Et d'avoir vu votre visage.

Oh! j'ai perdu mes joues roses,

Et aussi ma taille si fine,

Et j'ai perdu mon c?ur léger

Qui songeait peu à une chute.

Il me faut subir le rire moqueur,

De mainte fille hardie,

Alors que, si on connaissait toute la vérité,

Sa vie a été pire que la mienne.

Chaque fois que mon père pense à moi,

Il regarde fixement le mur;

Ma mère s'est mise au lit,

De penser à ma chute.

Chaque fois que j'entends le pas de mon père,

Mon c?ur éclate presque de douleur;

Chaque fois que je rencontre le regard de ma mère,

Mes larmes tombent comme la pluie.

Hélas! qu'un arbre si doux de l'amour

Porte un fruit aussi amer!

Hélas! qu'un plaisant visage

Cause des larmes si arrières!

Mais la malédiction du ciel écrase l'homme

Qui désavoue l'enfant qu'il a fait,

Ou laisse la douloureuse fillette qu'il a aimée

Porter des habits en haillons![555]

La note n'est pas toujours aussi mélancolique. Il y a, chemin faisant, de petits morceaux légers, des refrains d'amour, sans beaucoup de sens, comme ceux qu'on fredonne sur une route un jour de printemps.

Quand mai rose arrive avec des fleurs,

Pour parer ses gais buissons au feuillage épandu,

Alors ses heures sont occupées, occupées,

Au jardinier, avec sa bêche.

Les eaux de cristal tombent doucement,

Les oiseaux joyeux sont tous amoureux,

Les brises parfumées soufflent autour de lui,

Le jardinier avec sa bêche.

Quand le matin pourpre éveille le lièvre

Qui va chercher son repas matinal,

Alors à travers les rosées, il s'en va,

Le jardinier avec sa bêche.

Quand le jour expirant dans l'ouest

Tire le rideau du sommeil de la nature,

Il vole vers les bras de celle qu'il préfère,

Le jardinier avec sa bêche[556].

Ou bien, ce sont des fantaisies en peu de mots; un petit conte. C'est Katherine Jaffray qui vivait dans cette vallée, et le lord de Lauverdale qui est venu du sud pour la courtiser, mais sans lui dire qui il était jusqu'au jour du mariage[557]. C'est un lord qui est parti à la chasse sans chiens ni faucons. Et pourquoi? C'est que son gibier n'est pas loin de certaine chaumière où reste Jenny. Pour elle, il oublie sa lady avec toutes ses toilettes.

La robe de ma lady, il y a des rubans dessus,

Et des fleurs d'or rares dessus;

Mais le corset et le corsage de Jenny,

Mon lord en fait beaucoup plus de cas.

Par delà ce moor, par delà ces mousses,

Où les coqs de bruyère passent à travers la bruyère,

Là vit la fille du vieux Collin,

Un lis dans une solitude.

Ses jolis membres se meuvent aussi doucement

Que des notes de musique dans les hymnes des amants,

Un diamant humide est dans ses yeux bleus,

Où nage follement l'amour joyeux.

Ma lady est soignée et ma lady est bien habillée,

C'est la fleur et le caprice de l'ouest;

Mais la fillette qu'un homme préfère,

Oh! celle-là est la fillette qui le rend heureux[558].

à cela, il faudrait ajouter quelques imitations des anciennes ballades. C'est celle de lord Gregory qui représente une femme délaissée venant frapper à la tour de son seigneur[559]. C'en est une autre très touchante et très belle, sur le même sujet, seulement c'est un homme qui vient retrouver celle qu'il croit infidèle.

Oh! ouvre la porte, montre-moi de la pitié,

Oh! ouvre la porte pour moi, oh!

Bien que tu aies été fausse, je resterai fidèle,

Oh! ouvre la porte pour moi, oh!

Froide est la rafale sur ma joue palie,

Mais plus froid est ton amour pour moi, oh!

Le froid qui gèle la vie dans mon c?ur,

N'est rien auprès des douleurs qui me viennent de toi, oh!

La pale lune se couche derrière les vagues blanchissantes,

Et ma vie est à son coucher, oh!

Faux amis, fausse amie, adieu jamais plus,

Je ne vous troublerai, ni eux, ni toi, oh!

Elle a ouvert la porte, elle l'a ouverte toute grande,

Elle voit son pale cadavre sur la plaine, oh!

?Mon seul amour!? s'écria-t-elle, et elle tomba près de lui,

Pour ne se relever jamais, oh![560]

La ballade de lady Mary Ann, dans une note plus gaie, est aussi un joli petit morceau.

Oh! lady Mary Ann

Regarde par-dessus le mur du chateau,

Elle a vu trois jolis gar?ons

Qui jouaient à la balle.

Il était le plus jeune,

La fleur d'eux tous,

Mon joli petit gars est jeune,

Mais il pousse encore.

Oh! père! oh! père,

Si vous le jugez bon,

Nous l'enverrons un an

Encore au collège.

Nous coudrons un ruban vert

Autour de son chapeau,

Afin que l'on sache bien

Qu'il est à marier encore.

Lady Mary Ann

était une fleur dans la rosée

Doux était son parfum,

Et jolie était sa couleur.

Et plus elle fleurissait,

Plus elle était charmante,

Car le lis en bouton

Embellira encore.

Le jeune Charlie Cochrane

était une pousse de chêne,

Beau et fleurissant,

Et droit était son corps.

Le soleil prenait plaisir

à briller pour lui,

Et il sera l'orgueil

De la forêt encore.

L'été est parti

Où les feuilles étaient vertes,

Et loin sont les jours

Que nous avons vus.

Mais de bien meilleurs jours,

J'espère, reviendront;

Car mon joli gar?onnet est jeune

Et il pousse encore[561].

Enfin, il faut encore mettre des dialogues dans le genre de celui d'Horace et de Lydie, qui, fort à la mode dans la littérature amoureuse du XVIIIe siècle, ne comptent pas parmi ses productions très personnelles[562]. à c?té de ces jeux, il a fait de petits récits de scènes d'amour qui sont, au contraire, des bijoux de simplicité et d'émotion, bien à lui. Le plus célèbre est peut-être Le Pauvre et l'Honnête Soldat. Il était un soir d'été dans une auberge quand il vit passer devant la fenêtre un pauvre soldat fatigué. Il le fit appeler et lui demanda ses aventures, puis tomba aussit?t dans une de ces absences qui lui étaient ordinaires. Au bout de quelques instants, il avait composé un petit drame:

Quand la rafale mortelle de la sauvage guerre fut passée,

Et la douce paix fut de retour,

Trouvant maint doux bébé sans père,

Et mainte veuve en deuil,

Je quittai l'armée et les tentes des camps,

Où longtemps j'avais été soldat,

Mon maigre havresac pour toute ma fortune,

Un pauvre et honnête soldat.

Ma poitrine portait un c?ur loyal, léger.

Le pillage n'avait pas souillé ma main;

Et vers la douce écosse, vers mon pays,

Joyeusement je me mis en marche:

Je songeais aux rives de la Coil,

Je songeais à ma Nancy,

Je songeais au sourire charmeur

Où ma jeune fantaisie s'est prise.

Enfin, j'arrivai dans la jolie vallée

Où j'avais joué en mes jeunes années;

Je passai le moulin, l'épine du rendez-vous

Où souvent j'ai courtisé Nancy:

Qui vis-je sinon ma chère fillette aimée,

Près de la demeure de sa mère!

Je me détournai pour cacher le flot

Qui gonflait mes yeux.

D'une voix altérée, je lui dis: ?Douce fillette,

Douce comme la fleur de cette épine,

Oh! heureux, heureux puisse être celui

Qui est chéri de ton c?ur.

Ma bourse est légère, j'ai loin à aller,

Et je voudrais bien loger chez toi.

J'ai servi mon roi et mon pays longtemps,

Aie pitié d'un soldat!?

Tristement, elle me regarda.

Elle était plus adorable que jamais;

Et elle me dit: ?J'ai aimé autrefois un soldat,

Je ne l'oublierai jamais.

Notre humble toit et notre humble repas,

Vous en aurez votre part.

Ce signe vaillant, cette chère cocarde,

Vous êtes bienvenu, à cause d'elle?.

Elle regarda, elle rougit comme une rose,

Puis palit comme un lis,

Elle tomba dans mes bras, en disant:

?Es-tu mon cher Willie??

?Par celui qui fit le soleil et le ciel,

Et qui protège l'amour vrai,

Je suis bien lui! ainsi puissent toujours,

Les amants fidèles avoir leur récompense.

?Les guerres sont finies, et je suis de retour,

Et je te retrouve fidèle de c?ur;

Quoique pauvres de biens, nous sommes riches d'amour

Et nous ne nous quitterons plus?.

Elle me dit: ?Mon grand'père m'a laissé de l'or,

Une ferme bien fournie;

Viens, mon fidèle gars-soldat,

Tu es bienvenu à tout partager?.

Pour de l'or, le marchand sillonne la mer,

Et le fermier laboure la terre;

Mais la gloire est la récompense du soldat,

La richesse du soldat est l'honneur:

Ne méprisez pas le pauvre et brave soldat,

Ne le traitez pas en étranger;

Souvenez-vous qu'il est le soutien de son pays,

Au jour et à l'heure du danger[563].

Ce morceau a pris en écosse la popularité moitié sentimentale et moitié patriotique de certaines chansons militaires de Béranger.

Il est cependant inférieur, selon nous, à la ravissante idylle qui suit. Les détails sont réels; mais des vers d'une poésie exquise, entre autres la sixième strophe, les relèvent et les parent, de fa?on à faire de ce petit récit un modèle de vérité et de grace. Ce n'est pas une des inspirations éloquentes et ardentes de Burns; c'est un petit travail d'artiste sobre et délicat. Il n'a rien écrit de plus parfait en ce genre.

Il y avait une fillette, et elle était jolie,

Qu'on la vit à l'église ou au marché;

Quand toutes les plus belles filles étaient assemblées,

La plus belle fille était la jolie Jane.

Toujours elle aidait sa mère dans son travail,

Et toujours elle chantait si joyeusement

Que l'oiseau le plus gai sur le buisson

N'avait pas un c?ur plus léger qu'elle.

Mais les éperviers ravissent les jeunes

Qui mettent une joie bénie dans le nid du petit linot;

Et le froid flétrit les plus brillantes fleurs,

Et l'amour brise la paix la plus profonde.

Le jeune Robin était le plus beau gars,

La fleur et l'orgueil de tout le vallon;

Et il avait des b?ufs, des moutons, et des vaches,

Et neuf ou dix fringants chevaux.

Il alla avec Jane à la foire,

Il dansa avec Jane, sur la dune;

Et bien longtemps avant que la pauvre Jeannette ne le s?t,

Elle avait perdu son c?ur, son repos était perdu.

Comme dans le sein du ruisseau

Le rayon de lune repose, quand tombe la rosée des crépuscules,

Ainsi tremblant, pur, et tendre était l'amour,

Dans le c?ur de la jolie Jane.

Et maintenant, elle aide sa mère à son travail,

Et sans cesse elle soupire de peine et de souci,

Cependant elle ne sait pas ce qui la fait souffrir,

Ou ce qui pourrait la guérir.

Mais le c?ur de Jeannette bondit légèrement,

Et la joie brilla dans son ?il,

Quand Robin lui dit un conte d'amour,

Au soir, sur la prairie où croissent les lis!

Le soleil descendait à l'ouest,

Les oiseaux chantaient dans chaque buisson,

Il pressa doucement sa joue contre la sienne,

Et murmura ainsi son conte d'amour:

?Ma jolie Jane, je t'aime!

Crois-tu que tu pourras m'aimer?

Veux-tu quitter la chaumière de ta mère,

Et apprendre à diriger la ferme avec moi?

?Ni dans la grange, ni dans l'étable, tu n'auras à travailler,

Tu n'auras rien pour te troubler,

Tu n'auras qu'à errer dans les bruyères fleuries

Et à surveiller à mes c?tés les blés onduleux?.

Que pouvait faire la pauvre Jane?

Elle n'eut pas le c?ur de dire ?non?.

Elle finit par rougir, c'était doucement consentir,

Et l'amour ne les a pas quittés![564]

On pourrait ajouter à celles-là la pièce un peu vive pour être citée, mais charmante de coloris: La jolie fille qui a fait mon lit. Elle fut composée sur une aventure de Charles II, quand il errait et se cachait dans le Nord, aux environs d'Aberdeen, au temps de l'usurpation. Il forma une petite affaire[565] avec une fille de la maison de Port-Lethan, qui était ?la fille qui avait fait le lit? pour lui[566].

Burns a été plus loin; il a chanté la longue fidélité de deux existences passées ensemble, le sentiment d'attachement et de longue reconnaissance réciproque qui sort peu à peu de la passion, à mesure que celle-ci s'enfonce avec la jeunesse, il a, selon le vers admirable d'Hugo, célébré la douceur ?des vieux époux usés ensemble par la vie[567]?; et il l'a fait dans une petite chanson exquise d'émotion vraie et simple.

John Anderson, mon amoureux, John,

Quand nous nous conn?mes d'abord,

Vos cheveux étaient noirs comme le corbeau,

Et votre beau front était poli;

Mais maintenant votre front est chauve, John,

Vos cheveux sont pareils à la neige;

Mais bénie soit votre tête blanche,

John Anderson, mon amoureux.

John Anderson, mon amoureux, John,

Nous avons gravi la colline ensemble;

Et maint jour de bonheur, John,

Nous avons eu l'un avec l'autre;

Maintenant il nous faut redescendre, John,

Nous nous en irons la main dans la main,

Et nous dormirons ensemble au pied de la colline,

John Anderson, mon amoureux[568].

Il fallait que son imagination e?t vraiment exploré toutes les situations de l'amour pour l'avoir conduit jusqu'à celle qu'il était le plus incapable de conna?tre par lui-même.

Au milieu de ce vaste nombre de pièces, les qualités et les manières sont aussi variées que les sentiments. Parfois, bien que la chose soit rare, on sent chez lui presque uniquement l'artiste, le délicat et précieux ouvrier en paroles. Ce sont les pièces qui appartiennent à la seconde partie de sa vie, quand son habileté était devenue grande, faites aux jours où l'inspiration baissait un peu sa flamme. Il reprenait alors volontiers un de ces canevas communs à tous les poètes, sur lesquels ils brodent, en les variant légèrement, des motifs semblables, arrangeant les mêmes fleurs en bouquets différents. Mais comme, avec une simple touche, il rajeunit et renouvelle ces vieux sujets! à la suite d'Anacréon, il n'est guère de poète qui n'ait souhaité d'être un des objets touchés par la bien-aimée; l'agrafe qui serre sa gorge, l'escabeau qui supporte ses pieds[569]. C'est un sujet bien usé, et cependant il en a encore tiré une jolie chanson.

Oh! si mon amie était ce joli lilas,

Dont les fleurs violettes s'offrent au printemps,

Et moi un oiseau pour m'y abriter,

Lorsque fatigué sur mes petites ailes!

Comme je serais triste, quand il serait déchiré

Par l'automne farouche et le dur hiver!

Mais comme je chanterais, sur mes ailes joyeuses,

Quand le jeune mai renouvellerait sa floraison!

Oh! si mon amie était cette rose rouge,

Qui pousse sur le mur du chateau;

Et moi, une goutte de rosée,

Pour tomber dans son joli sein!

Oh! là, heureux ineffablement,

Je me nourrirais de beautés toute la nuit,

Enfermé et sommeillant dans ses plis satinés,

Jusqu'à ce que la lumière de Phébus m'en chasse[570].

Il en est de même pour ces énumérations de fleurs si chères à toutes les poésies, surtout à la poésie anglaise. Les poètes anglais sont de grands connaisseurs de fleurs; ils en parlent avec fine richesse et une précision particulières. Si un savant accomplissait ce travail de botanique littéraire très minutieux, on trouverait probablement que le catalogue de leur flore est plus long, leurs observations plus exactes, que ceux des poètes étrangers; les serres de la littérature anglaise sont les plus riches du monde. Qu'on n'oublie pas que la poésie anglaise est littéralement parfumée par toutes les fleurs des champs, des jardins et des bois. Si cet éloge para?t excessif, qu'on songe au vieux poète de la Feuille et la Fleur; qu'on pense aux passages floraux dont les pièces de Shakspeare sont parées, aux clairières du Songe d'une nuit d'été, aux couplets d'Ophélie, à mille traits comme les délicieuses paroles d'Arvirargus.

Avec les plus belles fleurs

Tant que l'été durera et que je vivrai ici, Fidèle,

J'embaumerai la triste tombe; tu ne manqueras

Ni de la fleur qui est comme ta face, la pale primevère,

Ni de la jacinthe azurée comme tes veines, ni non plus

De la feuille de l'églantine qui, pour ne pas la calomnier,

N'était pas plus douce que ton baleine.[571]

Qu'on se représente l'amas, les brassées de fleurs, sous lesquelles Milton fait dispara?tre le cercueil de son ami Lycidas: la hative perce-neige, la jacinthe, le pale jasmin, l'?illet blanc, la pensée striée de jais, la violette, la rose moussue, le chèvrefeuille, et la pale primevère qui penche sa tête pensive, et toutes les fleurs que portent les broderies du deuil[572]. Qu'on pense au plus surprenant poème qui jamais ait été écrit sur les fleurs, à cette admirable et touchante Sensitive de Shelley, avec sa galerie de fleurs, dont l'expression est rendue comme en une suite de pastels féminins, et dont les ames délicates sont devinées et pénétrées comme par la sympathie d'un Ariel[573]. Et Wordsworth! Et tant d'autres: Herrick, Tennyson, Browning! Si on plantait sur la tombe de chaque poète anglais un seul pied de chacune des plantes qu'il a chantées, ils dormiraient tous sous des floraisons épaisses, et le parfum du printemps en serait augmenté.

Naturellement; les poètes ont fait usage de leurs connaissances florales pour en tirer des images. Les femmes ont été, par eux, comparées aux fleurs, de mille manières ingénieuses. On comprend que, s'il est un point difficile à rajeunir, ce soit celui-là. Les poètes contemporains s'en tirent en reportant leurs similitudes sur des fleurs rares et tropicales. Burns n'avait pas cette ressource. Cependant, ses petites offrandes de fleurs familières resteront parmi tant d'autres. Elles n'ont ni la variété, ni les luxuriances de coloris de certaines gerbées, mais elles sont si simples et si fra?ches! Ce ne sont pas des bouquets assortis aux beautés fières et fastueuses de grandes dames. Les siens sont cueillis ?en un champ voisin?, et faits pour des corsages de paysannes simples et fra?ches comme eux.

Oh! l'amour s'aventurera

Là où il n'aimerait pas être vu;

Oh! l'amour s'aventurera

Où la prudence était naguère;

Mais j'irai par cette rivière,

Et parmi ces bois si verts,

Et j'y formerai un bouquet

Pour ma très chérie May.

Je cueillerai la primevère,

Première mignonne de l'année;

Et je cueillerai l'?illet,

L'emblème de ma chérie,

Car elle est un ?illet parmi les femmes,

Elle est la fleur sans rivale;

Et j'en formerai un bouquet

Pour ma très chérie May.

Je cueillerai la rose entr'éclose,

Quand Phébus jette un premier regard,

Car elle est comme un baiser embaumé

De sa douce et jolie bouche;

L'hyacinthe est pour la constance,

Avec son bleu inaltérable;

Et j'en formerai un bouquet

Pour ma très chérie May.

Le lis est une fleur pure,

Et le lis est une belle fleur,

Et dans son sein délicat

Je placerai la fleur du lis;

La paquerette est pour la simplicité

Et un air candide;

Et j'en formerai un bouquet

Pour ma très chérie May.

Je cueillerai l'aubépine,

Avec sa chevelure grise et argentée,

Là où comme un vieillard

Elle se tient dans l'aube;

Mais le nid du petit chanteur dans le buisson,

Je ne l'emporterai pas;

Et j'en formerai un bouquet

Pour ma très chérie May.

Je cueillerai le chèvrefeuille,

Quand l'étoile du soir est proche,

Et les gouttes diamantées de rosée

Seront ses yeux si clairs;

La violette est pour la modestie,

Il lui sied bien de la porter;

Et j'en formerai un bouquet

Pour ma très chérie May.

Je mettrai autour du bouquet

Le ruban de soie de l'amour,

Et je le placerai à sa poitrine,

Et je jurerai par les cieux

Que jusqu'à ma dernière goutte de vie

Ce ruban restera noué;

Et j'en formerai un bouquet

Pour ma très chérie May[574].

Il a repris maints des sujets et des comparaisons ordinaires parmi les poètes, mais avec le coloris, l'éclat d'épithètes, une sorte de sensualité de couleur, qui frappent dans nos poètes de la Renaissance. Il a, comme eux, cette qualité que les mots tels que: rosée, rose, mai, qui pour nous sont un peu usés, ont l'air d'être neufs chez lui. Il semble comme eux les avoir employés avec joie, nouveauté et na?veté. Ils ont gardé tout leur lustre matinal. Les deux pièces qui suivent n'ont-elles pas la teinte riche et pourprée de certaines pièces de Ronsard? Elles ont été composées toutes deux pour Miss Cruikshank, la fille de son ami d'édimbourg, presque une enfant, comme celle que Ronsard appelait ?fleur angevine de quinze ans[575]?. Ce sont ces pièces qu'un critique appelle: ?the rosebud pieces to Miss Cruikshank?. Elles ne sont que l'idée, exprimée avec des qualités semblables, dans ces vers des Amours:

Comme on voit sur la branche, au mois de mai, la rose

En sa belle jeunesse, en sa première fleur,

Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,

Quand l'aube, de ses pleurs, au poinct du jour l'arrose,

La Grace dans sa feuille et l'Amour se repose,

Embaumant les jardins et les arbres d'odeur[576].

Comme eux, elles valent surtout par le coloris des mots.

Beau bouton de rose, jeune et brillant,

Fleurissant dans ton prime Mai,

Puisses-tu ne jamais, douce fleur,

Frissonner dans la froide averse!

Que jamais le froid passage de Borée,

Que jamais le souffle empoisonné de l'Eurus,

Que jamais les funestes lumières stellaires

Ne te touchent d'une nielle précoce!

Que jamais, jamais le ver perfide

Ne se nourrisse de ta fleur virginale!

Que le soleil lui-même ne regarde pas trop ardemment,

Ton sein rougissant dans la rosée.

Puisses-tu longtemps, douce perle cramoisie,

Richement parer ta tige native;

Jusqu'à ce qu'un soir doux et calme,

Distillant la rosée, exhalant le baume,

Tandis que les bois d'alentour résonneront

Des oiseaux qui chanteront ton requiem,

Au son de leur chant funèbre,

Tu épandes autour de toi tes beautés mourantes,

Et rendes à la terre, ta mère,

La plus adorable forme qu'elle ait jamais produite[577].

La seconde pièce ressemble beaucoup à celle-ci; elle est peut-être encore plus riche et plus fra?che de couleur.

Un bouton de rose, près de mon chemin matinal,

Dans un abri au bord des blés,

Courbait gracieusement sa tige épineuse,

Dans la rosée, un matin.

Avant que les ombres de l'aube deux fois aient fui,

épanouie dans sa gloire cramoisie,

Et penchant richement sa tête emperlée,

Elle embaume le jeune matin.

Dans le buisson était un nid,

Un petit linot le couvait tendrement,

La rosée perlait froide sur sa poitrine,

Si t?t dans le jeune matin.

Il verra bient?t sa chère couvée,

L'orgueil et la joie du bois,

Parmi les fra?ches feuilles vertes et humides

éveiller le jeune matin.

Ainsi, cher oiseau, jeune et belle Jenny,

Sur les cordes tremblantes, ou de ta douce voix,

Tu chanteras pour repayer les tendres soins

Qui protègent ton jeune matin;

Ainsi, doux bouton de rose, jeune et brillant,

Tu brilleras somptueusement tout le jour,

Et tu pareras les rayons du soir de ce père

Qui a veillé sur ton jeune matin[578].

Ce sont là les pièces extrêmes dans cette direction, celles où il y a le moins de sentiment et le plus d'habileté technique. Le plus souvent quand il reprend un de ces motifs, il y ajoute quelque chose de lui. Le fond de la petite pièce suivante est bien peu de chose. Elle est cependant si délicatement travaillée qu'elle peut prendre sa place parmi les pièces modèles de ce genre.

Tandis que les alouettes de leurs petites ailes,

Battaient l'air pur,

Pour go?ter l'haleine du printemps

Je sortis et marchai:

Gaiement l'?il d'or du soleil

Regardait par-dessus les hauts monts;

?Tel est ton matin, m'écriai-je,

Phillis, la jolie!?

Aux chansons insouciantes des oiseaux,

Heureux, je prenais ma part;

Et parmi ces fleurs sauvages

Le hasard me conduisit.

Doucement, sous le jour qui s'ouvrait,

Les boutons de rose inclinaient la branche;

?Telle est ta fleur, dis-je,

Phillis, la jolie!?

Au fond d'une allée ombreuse

Des colombes s'aimaient;

J'aper?us le cruel faucon

Saisi dans un piège.

?Puisse la Fortune être aussi bonne,

Et réserver un destin semblable

à qui voudrait te faire injure,

Phillis, la jolie![579]?

La plupart du temps, quand il prend un de ces canevas tout faits, il commence par y broder quelques jolis détails, curieux par la finesse du travail. Mais cette habileté d'ouvrier ne va pas jusqu'à la fin, et la pièce se termine par une touche de sentiment naturel, sincère, et qui contraste avec la simple dextérité du début.

Oh! joli était ce buisson de roses,

Qui fleurit si loin des demeures des hommes;

Et jolie était celle, et ah! combien chère

Qu'il abritait du soleil couchant.

Ces boutons de rose, dans la rosée matinale,

Comme ils sont purs parmi les feuilles si vertes!

Mais plus pur était le v?u de l'amant

Qu'ils entendaient hier dans leur ombre.

Sous son dais rude et piquant,

Combien douce et belle est cette rose cramoisie!

Mais l'amour est une bien plus douce fleur

Dans le sentier épineux et fatigant de la vie.

Que ce ruisseau écarté, sauvage et murmurant,

Avec ma Chloris dans mes bras soit à moi,

Je ne désirerai ni ne mépriserai le monde

Résignant à la fois ses joies et ses peines[580].

Dans la pièce suivante, cette donnée, si commune, d'un amoureux s'adressant à un oiseau qui gémit, donnée analogue à celle du sonnet de Ronsard:

Que dis-tu? Que fais-tu, pensive tourterelle,

Dessus cet arbre sec?-Las! passant, je lamente.-

Pourquoi lamentes-tu?-Pour ma compagne absente![581]

et qu'on retrouve dans des sonnets de Pétrarque[582], finit par dispara?tre presque complètement. La sensibilité vraie envahit le morceau et ne laisse plus place à l'habileté de l'artiste. Cela devient simple et touchant.

Oh! reste, doucement gazouillante alouette des bois, reste,

Ne quitte pas à cause de moi le rameau tremblant;

Un amant malheureux recherche ta chanson,

Ta plainte calmante et aimante.

Redis, redis ce tendre passage,

Pour que je puisse apprendre ton art touchant;

Car s?rement il fondrait le c?ur de celle

Qui me tue en me dédaignant,

Dis-moi, ta petite compagne fut-elle cruelle?

T'a-t-elle écouté comme le vent insouciant?

Oh! rien que l'amour et le chagrin unis

Ne peut éveiller de telles notes de douleur.

Tu parles de chagrin immortel,

De douleur silencieuse et de sombre désespoir;

Par pitié, doux oiseau, tais-toi,

Ou mon pauvre c?ur se brisera[583].

Il faut bien entendre que ce n'est là qu'un coin très secondaire et très artificiel de ses poésies amoureuses. Il suffit de noter que, même sur ce métier de travail purement littéraire qui n'était pas le sien, et pour ce fin ouvrage de ciselure de vers auxquels ses mains n'étaient pas faites, il a égalé ce qui a été fait de plus net et de plus brillant dans ce genre. Et il convient aussi de ne pas oublier que, sauf les quelques plus grands chantres de l'amour, les autres poètes, dont les pièces forment l'anthologie de cette passion, n'ont guère dépassé ce degré de go?t exquis et de légère main-d'?uvre.

Il lui arrive quelquefois, comme pour ne laisser aucune corde qu'il n'ait touchée, d'être plus subtil, plus recherché, et en quelque sorte plus moderne. Ce n'est pas qu'il approche jamais des enveloppements presque indéchiffrables d'images, ou des finesses presque insaisissables de sentiment, qui charment certains artistes modernes, à la suite des gens de la Renaissance. Il n'a pas même l'idée de ces complexités, de ces quintessences. Il est loin de ceux qui saisissent les nuances d'un sentiment, en les isolant du sentiment lui-même; comme s'ils observaient les couleurs qui passent sur un visage, sans voir le visage. Il est à l'autre p?le des plus ténus et des plus sublimés des poètes, qui analysent des émotions si fines qu'elles sont impalpables, qui pèsent de l'impondérable dans de l'imperceptible, et ne semblent jamais avoir dans la main que de la poussière d'émotion. Il est bien loin aussi de ceux qui, placés aux limites de la passion, n'en étudient que les reflets lointains et les dernières colorations mourantes. Il reste toujours près du foyer ardent. Il pose fermement un sentiment plein, entier. S'il rend une phase plus fine d'émotion elle a encore pour cadre l'émotion générale dont elle dépend, qui la raffermit et la soutient. Il y a toujours sous ces teintes plus fugitives le ton franc et simple. La recherche ne l'écarte jamais beaucoup du sentier très clair et très droit qu'il suit d'ordinaire. Ainsi il imagine un compromis entre l'amour et l'amitié, mais ce sera quelque chose de bien peu compliqué, de très primitif, où ce qu'il y a d'un peu plus recherché dans le sentiment est à peine souligné par un peu plus de recherche dans les images.

Retourne-toi, encore, ? belle Eliza,

Un regard de bonté avant que nous ne nous quittions,

Prends pitié du désespéré qui t'aime!

Peux-tu briser son c?ur fidèle?

Retourne-toi encore, ? belle Eliza;

Si ton c?ur se refuse à aimer,

Par compassion cache la cruelle sentence,

Sous le bon déguisement de l'amitié.

T'ai-je donc offensée, ? bien-aimée?

Mon offense est de t'avoir aimée:

Peux-tu détruire pour jamais la paix

De celui qui mourrait joyeusement pour la tienne?

Tant que la vie battra dans ma poitrine,

Tu seras mêlée à chaque battement;

Retourne-toi encore, ? adorable fille,

Accorde-moi encore un doux sourire.

Ni l'abeille au c?ur de la fleur,

Dans l'éclat d'un midi soleilleux;

Ni la petite fée qui se joue

Sous la pleine lune d'été;

Ni le poète, au moment

Où la fantaisie s'allume en son ?il,

Ne conna?t le plaisir, ne ressent l'extase

Que ta présence me donne[584].

Ou bien; parlant d'une douleur d'amour, au lieu de se plaindre simplement comme il le fait d'ordinaire, il rendra une idée un peu plus complexe et analogue à celle que termine le beau vers:

Et vis de ta douleur, n'en pouvant pas guérir[585].

mais il n'ira pas au-delà; c'est à peu près la borne de son raffinement.

Où sont les joies que jadis je rencontrais le matin,

Et qui dansaient à la chanson matinale de l'alouette?

Où est la paix qui attendait mes promenades,

Le soir, parmi les bois sauvages?

Je ne suis plus le cours sinueux de cette rivière,

Regardant les douces fleurettes si belles;

Je ne suis plus les pas légers du Plaisir,

Mais le Chagrin et les Soucis aux tristes soupirs.

Est-ce que l'été a abandonné nos vallées,

Et le sombre et morose Hiver est-il proche?

Non! Non! les abeilles, bourdonnant autour des éclatantes roses,

Proclament que c'est maintenant l'orgueil de l'année.

Volontiers je voudrais cacher ce que je crains de découvrir,

Ce que depuis longtemps, trop longtemps, je sais trop bien;

Ce qui a causé ce désastre dans mon c?ur

Est Jenny, la douce Jenny toute seule.

Le Temps ne peut me secourir, ma peine est immortelle,

L'Espoir n'ose pas m'apporter une consolation:

Allons, énamouré et épris de mon angoisse,

Je chercherai de la douceur dans ma souffrance[586].

Parfois cette sensation de modernité, qu'on découvre ?à et là chez lui, ressort d'un mélange plus curieux de paysage et de sentiment. La pièce suivante, par exemple, doit son charme à ce que le paysage, au lieu d'être égal et bien assis comme les effets habituels de soleil ou de nuit, est un effet intermédiaire beaucoup plus rare chez lui. Ce vaste et vague horizon, peint d'un trait, dépasse les descriptions ordinaires. Cette ville aper?ue dans la lumière du soir, et qui revient à chaque instant, donne un pittoresque et une couleur qui étaient rares alors. Le morceau entier est comme traversé et empourpré par un rayon du couchant. C'est une impression distinguée, dans le genre de celles qui ont été atteintes plus tard par les poètes, lorsque trouvant les grands effets rendus ils ont été obligés d'en chercher de plus fins et de plus rares.

Oh! savez-vous, qui est dans cette ville,

Sur laquelle vous voyez le soleil couchant?

La plus belle dame est dans cette ville

Sur laquelle brille le soleil couchant.

Peut-être là-bas, dans ce bois vert et brillant,

Elle erre, près de cet arbre touffu.

Heureuses fleurs, qui fleurissez autour d'elle,

Vous obtenez les regards de ses yeux!

Heureux oiseaux qui chantez autour d'elle,

Souhaitant la bienvenue à l'année fleurie!

Et doublement bienvenu soit le printemps

La saison chère à ma Lucy.

Sur la ville là-bas, le soleil étincelle,

Parmi les coteaux couverts de genêts;

Mes délices sont dans cette ville là-bas

Et mon plus cher trésor est la belle Lucy!

Sans ma bien-aimée, tous les charmes

Du paradis ne me fourniraient pas de joie;

Mais donnez-moi Lucy dans mes bras,

Et bienvenu soit le morne ciel des Lapons!

Ma caverne serait une chambre d'amoureux,

Bien que l'hiver furieux déchirat l'air;

Et elle serait une jolie petite fleur

Que j'y soignerais, que j'y abriterais!

Oh! douce est celle qui est dans cette ville,

Sur laquelle est descendu le soleil baissant;

Sur une plus jolie que celle qui est dans cette ville

N'ont jamais brillé ses rayons couchants.

Si le destin courroucé jure qu'il est mon ennemi,

Si je suis condamné à porter la souffrance,

Je quitterai sans peine tout le reste ici-bas,

Mais laissez-moi, laissez-moi ma Lucy bien-aimée.

Car, tant que le sang le plus précieux de la vie sera chaud,

Pas une de mes pensées ne s'éloignera d'elle,

Et elle, comme elle a la plus belle forme,

Possède le c?ur le plus fidèle et le plus aimant.

Oh! savez-vous qui est dans cette ville,

Sur laquelle vous voyez le soleil couchant?

La plus belle dame est dans cette ville

Sur laquelle brille le soleil couchant[587].

Il y a, dans cette allée un peu écartée de son ?uvre, des pièces qui font penser à Henri Heine, à certains c?tés de Henri Heine. On suppose, en effet, qu'il est mutile de marquer les différences; il n'a ni la saisissante étrangeté d'images, ni l'affinement d'une souffrance toujours à vif, ni l'exquise douceur amère du poète allemand. Ses abeilles n'ont pas voltigé sur les noires absinthes; leur miel est plus simple. Cependant, il y a chez lui un sentiment assez troublant et raffiné qui se trouve à un haut degré dans Heine. Celui-ci, au-delà de tous les poètes, a éprouvé la sensation d'emporter en soi le regard de la bien-aimée, le malaise d'être hanté par des yeux chers et cruels, ce qu'il y a de douloureux dans leur insistance implacable et caressante. ?Tes grands yeux de violette je les vois briller devant moi, jour et nuit; c'est là ce qui fait mon tourment; que signifient ces énigmes douces et bleues[588]?? Il les retrouve partout. Les étoiles sont les chers et doux yeux de sa bien-aimée qui veillent sur lui, qui brillent et clignotent du haut de la vo?te azurée[589]. Il a écrit sur eux ses plus beaux canzones, ses plus magnifiques stances[590] et des milliers de chansons qui ne périront pas[591]. Et, de fait, il n'y a guère de place où il n'en parle: ?? les doux yeux de mon épousée, les yeux couleur de violette; c'est pour eux que je meurs[592]?.-?Avec tes beaux yeux, tu m'as torturé, torturé, et tu me fais mourir[593]?. Cette obsession et ce tourment du regard féminin, si caractéristique de Henri Heine, et que Pétrarque avait déjà connu quand il parlait de ?ces beaux yeux qui tiennent toujours en mon c?ur leurs étincelles allumées; c'est pourquoi je ne me lasse point de parler d'eux[594]? est bien le fait d'un raffiné. Cet appel de tout un être dans les yeux, cette faculté d'y attirer ce qu'il y a de plus précieux dans une ame et de résumer une personne en un regard, au point d'en souffrir, d'en mourir même, n'appartient qu'à des hommes qui vivent d'une pensée assez ardente pour fondre tout un être dans une expression intangible[595]. C'est l'indice d'un amour très spiritualisé et très intellectuel. Burns a éprouvé, presque à l'égal de Henri Heine, cette tyrannie du regard, et il y a certaines pièces de lui qu'on ne serait pas étonné de rencontrer dans le Retour ou le Nouveau Printemps. On peut citer une de ses premières pièces où déjà ce go?t du regard se révèle. Elle est un peu longue, mais elle est aussi intéressante par une suite de comparaisons naturelles dont quelques-unes sont exquises et dont d'autres font penser à celles du Cantique des Cantiques.

Sur les rives du Cessnock vit une fillette;

Si je pouvais décrire sa fortune et son visage;

Elle surpasse de loin toutes nos fillettes,

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Elle est plus douce que l'aube du matin,

Quand Ph?bus commence à se montrer,

Et que les gouttes de rosée brillent sur les gazons;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Elle est droite comme ce jeune frêne

Qui se dresse entre deux pentes couvertes de primevères,

Et boit le ruisseau, dans sa fra?che vigueur;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Elle est sans tache comme l'épine épanouie,

Avec des fleurs si blanches et des feuilles si vertes,

Quand elle est pure dans la rosée matinale;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Son air est comme le mai vernal,

Quand Ph?bus brille sereinement, le soir,

Quand les oiseaux se réjouissent sur toutes les branches;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Sa chevelure est comme le brouillard floconneux

Qui gravit, le soir, le flanc des montagnes,

Quand les pluies qui ravivent les fleurs ont cessé;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Son front est comme l'arc pluvieux,

Quand des rayons brillants s'interposent,

Et dorent le front de la montagne lointaine;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Ses joues sont comme cette perle cramoisie,

L'orgueil du parterre de fleurs,

Qui commence à s'ouvrir sur sa tige épineuse;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Sa gorge est comme la neige de la nuit,

Quand le matin se lève pale et froid,

Tandis que les ruisseaux murmurants coulent cachés;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Ses lèvres sont comme ces cerises m?res,

Que des murailles ensoleillées abritent de Borée,

Elles tentent le go?t et charment la vue;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Ses dents sont comme un troupeau de brebis

Aux toisons nouvellement lavées,

Qui montent lentement la colline rapide;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Son haleine est comme la brise parfumée

Qui agite doucement les fèves en fleurs,

Quand Ph?bus s'enfonce derrière les mers;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Sa voix est comme la grive, le soir,

Qui chante sur les bords du Cessnock, cachée,

Tandis que sa compagne couve son nid dans le buisson;

Et elle a deux yeux étincelants et malicieux.

Mais ce n'est pas son air, sa forme, son visage,

Bien qu'ils égalent la reine fabuleuse de la beauté,

C'est l'esprit qui brille dans toutes ses graces;

Et surtout dans ses yeux malicieux[596].

Une autre pièce a un refrain presque semblable:

Je vois un corps, je vois un visage,

Qu'on peut mettre avec les plus beaux;

Mais pour moi, la grace enchanteresse y manque,

Le doux amour qui est dans son ?il.

Ceci n'est pas ma vraie fillette,

Toute jolie que soit cette fillette-ci;

Oh! je connais bien ma vraie fillette

à la tendresse qui est dans son ?il.

Elle est belle, fleurissante, droite et grande,

Et depuis longtemps tient mon c?ur captif,

Et toujours ce qui charme le plus mon ame,

C'est le doux amour qui est dans son ?il[597].

On trouve chez lui des images comme celles-ci:

Son joli visage était aussi calme

Qu'un agneau sur l'herbe;

Le soleil du soir ne fut jamais si doux

Que l'était le regard des yeux de Phémie[598]

Ou comme cette autre qui, sous sa forme étroite, fait penser aux images à la fois précieuses, forcenées et passionnées de la Renaissance, si fréquentes chez Shakspeare[599]:

Sa chevelure d'or, sans rivale,

Descendait, ruisselait sur son cou neigeux,

Et ses deux yeux, comme des étoiles dans les cieux,

Sauveraient du naufrage un navire sombrant[600].

Celle-ci enfin n'est-elle pas tout à fait dans la manière de Henri Heine?

J'ai passé hier par un chemin malheureux,

Un chemin, j'en ai peur, dont je me repentirai;

J'ai re?u la mort de deux yeux doux,

Deux charmants yeux d'un joli bleu.

Ce ne fut pas ses brillantes boucles d'or,

Ses lèvres pareilles à des roses humides de rosée,

Son sein ému, blanc comme un lis;

Ce furent ses yeux si joliment bleus.

Elle parla, elle sourit, elle déroba mon c?ur,

Elle charma mon ame; j'ignore comment;

Mais toujours le coup, la blessure mortelle

Venait de ses yeux si joliment bleus.

Si je peux lui parler, si je peux l'approcher,

Peut-être écoutera-t-elle mes v?ux;

Si elle refuse, je devrai ma mort

à ses deux yeux si joliment bleus[601].

Ne fait-elle pas penser à cette tendre évocation de regards azurés du Nouveau Printemps? ?Avec tes yeux bleus, tu me regardes fixement, et moi je deviens si rêveur que je ne puis parler. C'est à tes yeux bleus que je pense toujours; un océan de pensées bleues inonde mon c?ur[602]?. Et cette image-ci, juste et étrange à la fois, ne se rapproche-t-elle pas encore davantage des fantaisies de Heine?

Faut-il que j'aime toujours,

Et supporte le mépris qui est dans son ?il?

Car il est noir, noir de jais, et il est comme un faucon,

Il ne veut pas vous laisser en repos[603].

C'est, avec une métaphore différente, la même impression que dans cet autre passage de Heine: ?Dans son doux et pale visage, grand et puissant, rayonne son ?il semblable à un soleil noir; noir soleil, combien de fois tu m'as versé les flammes dévorantes de l'enthousiasme[604]?. Mais encore un coup, ce ne sont là de Burns que des allées écartées de son jardin d'amour, où croissent quelques plantes plus rares. Celles qui foisonnent au c?ur même du jardin, là où tombe franchement le soleil, sont plus simples.

Dans toutes les pièces amoureuses de Burns, il faut faire un groupe de celles où il a mélangé la poésie pastorale et la poésie amoureuse. Il y a là un coin absolument ravissant de fra?cheur, de naturel, et de réalité embellie. à vrai dire, les poètes ont de tout temps aimé à placer l'amour au milieu de riantes descriptions. Ils semblent percevoir confusément que cette passion est la même force par laquelle le monde palpite, et que, dans ses profondeurs, elle a des rapports avec la sève qui chaque année renouvelle la parure de la terre. Quand il a cessé d'exister ailleurs, le sentiment de la nature s'est encore conservé dans les poésies amoureuses. Nulle part, cette union n'a été plus constante que dans la littérature anglaise. Burns y a réussi autant qu'aucun autre. Tout naturellement, ses scènes d'amour se placent parmi les fleurs et les ombrages.

Ce n'était pas pour Burns un artifice de poète, un cadre factice. Ses jeunes amours avaient été des amours de paysan, tout faits de rendez-vous dans les champs, de travail c?te à c?te pendant les moissons, ou de rencontres sur les grands moors déserts où la solitude amène le bonjour et un bout de causerie. Ces intrigues campagnardes ont toujours un fond de paysage à peine indiqué.

La lune descendait à l'ouest,

Avec un visage pale et effaré,

Quand mon beau gars, tisserand de l'ouest

Me reconduisit à travers le vallon[605].

Un thème inépuisable, parce qu'il correspondait à la réalité, sont ces rencontres, soit dans les blés où l'on se croise en ces étroits sentiers qui passent par les champs, soit dans les bruyères. Les épis hauts sont favorables:

En revenant par les orges, pauvre quelqu'un,

En revenant par les orges,

Elle a sali tout son jupon,

En revenant par les orges.

Oh! Jenny est toute mouillée, pauvre quelqu'un,

Jenny est rarement à sec;

Elle a sali tout son jupon,

En revenant par les orges.

Si quelqu'un rencontre quelqu'un,

En revenant par les orges;

Si quelqu'un embrasse quelqu'un,

Faut-il que quelqu'un crie?

Si quelqu'un rencontre quelqu'un,

En revenant par le vallon,

Si quelqu'un embrasse quelqu'un,

Faut-il qu'on le sache?[606]

Les moors sont aussi bien dangereux. Leurs longues étendues abandonnées sont tristes à traverser seule. On chemine de compagnie, afin que la route semble plus courte; semble, seulement, car il arrive qu'elle dure plus longtemps. Il faut qu'un moor soit bien maussade pour n'avoir pas un coin riant: on s'y repose, on devise, et il en résulte une autre jolie chanson.

Il y avait une fillette; on l'appelait Meg,

Et elle traversait le moor pour aller filer;

Il y avait un gars qui la suivait,

Et on l'appelait Duncan Davison.

Le moor était long, et Meg était ombrageuse,

Duncan ne pouvait obtenir sa faveur,

Car elle le frappait avec la quenouille,

Et le mena?ait avec la bobine.

Comme ils traversaient légèrement le moor,

Voici un ruisseau clair et un vallon vert,

Sur la rive, ils se reposèrent,

Et toujours elle mettait la roue entre eux deux.

Mais Duncan jura un serment sacré

Que Meg serait une fiancée le lendemain,

Alors Meg prit tous ses ustensiles,

Et les jeta par dessus le ruisseau.

Nous batirons une maison, une petite, petite maison,

Et nous vivrons comme roi et reine,

Si joyeux et si gais serons-nous,

Quand tu seras assise à ton rouet, le soir.

Un homme peut boire et ne pas être gris;

Un homme peut se battre et ne pas être tué;

Un homme peut embrasser une jolie fille,

Et être bienvenu à recommencer[607].

Ces rencontres amènent des rendez-vous, tant?t parmi les hauteurs où les moutons sont répandus, tant?t au bord d'un ruisseau où les arbres sont épais, tant?t plus secrètement au bout du jardin. Quelques-unes de ces scènes ont une jolie saveur de poésie rustique, à moitié réelle et à moitié transformée, comme dans les meilleures pages de George Sand. Ce dialogue, entre un berger et son amoureuse, est bien dans cette note, et ce refrain, qui se répète comme le rappel des moutons vers le soir, évoque, mieux que ne le ferait une description, le paysage où le troupeau est épars:

Appelle les moutons sur la colline,

Appelle-les où cro?t la bruyère,

Appelle-les où court le ruisseau,

Ma jolie chérie.

Comme je passais au bord de l'eau,

J'y ai rencontré mon gars berger;

Il m'a doucement enroulée dans son plaid,

Et il m'a appelée sa chérie.

?Veux-tu venir par le bord de l'eau,

Et voir les flots doucement glisser,

Sous les noisetiers tout grands ouverts?

La lune brille très claire.

Tu auras des robes et de beaux rubans,

Et des souliers en cuir de veau à tes pieds,

Et dans mes bras, tu te reposeras et dormiras,

Et tu seras ma chérie?.

?Si vous tenez ce que vous promettez,

J'irai avec vous, mon gars berger,

Et vous pourrez m'enrouler dans votre plaid,

Et je serai votre chérie?.

Tant que les eaux courront à la mer,

Tant que le jour brillera dans ce haut ciel,

Jusqu'à ce que la mort froide comme l'argile ferme mes yeux,

Vous serez mon chéri.

Appelle les moutons sur la colline,

Appelle-les où cro?t la bruyère,

Appelle-les où court le ruisseau,

Ma jolie chérie[608].

On voit, comme dans la pièce précédente, que les fillettes sont habituées à se défendre et savent poser leurs conditions. On s'étonnera moins de leur facilité à accepter ces promesses, si l'on se rappelle qu'il y avait toujours une sorte de sanction dans les décisions de la session ecclésiastique. On peut citer encore une autre chanson qui résume en quelque sorte tous ces rendez-vous rustiques; il y a une première strophe qui est belle, et, dans cette strophe, les deux vers sur ces bouleaux ?lumineux de rosée? dans l'ombre suffiraient seuls à lui donner un rare prix.

Quand, au-dessus de la colline, l'étoile orientale

Annoncera l'instant de parquer les moutons, mon ami,

Et que les b?ufs, du champ tracé de sillons,

S'en iront tristes et fatigués, ?;

Là-bas, près du ruisseau, où les bouleaux parfumés

Pendent lumineux de rosée, mon ami,

Je te retrouverai sur la berge herbeuse,

Mon cher bien-aimé, ?!

Dans la plus sombre glen, à l'heure de minuit,

Je marcherai, sans avoir peur, ?;

Si à travers cette glen, je vais vers toi,

Mon cher bien-aimé, ?!

Si farouche, si farouche que soit la nuit,

Si lasse, si lasse que je sois, ?,

Je te retrouverai sur la berge herbeuse,

Mon cher bien-aimé, ?!

Le chasseur aime le soleil matinal

Pour faire lever les daims des montagnes, mon ami;

à midi, le pêcheur cherche la gorge

Pour y suivre le ruisseau, mon ami;

Donnez-moi l'heure du crépuscule gris,

Cela fait mon c?ur joyeux, ?,

De te retrouver sur la berge herbeuse,

Mon cher bien-aimé, ?![609]

D'autres pièces du même genre sont peut-être plus fines, comme les deux suivantes, dont la seconde surtout est une perle.

Je repasserai par cette ville,

Et par ce jardin vert, de nouveau;

Je repasserai par cette ville,

Pour revoir ma jolie Jane de nouveau.

Personne ne saura, personne ne devinera

Pourquoi je reviens, de nouveau;

Sinon elle, ma jolie, ma fidèle fillette,

Et secrètement nous nous verrons de nouveau.

Elle passera auprès du chêne,

Quand l'heure du rendez-vous viendra de nouveau;

Et quand je vois sa forme charmante,

? sur ma foi! Elle m'est deux fois chère de nouveau.

Je repasserai par cette ville,

Et par ce jardin vert, de nouveau;

Je repasserai par cette ville,

Pour voir ma jolie Jane de nouveau[610].

Voici l'autre:

Comme je remontais par le bout de notre route,

Quand le jour devenait fatigué,

Oh! qui descendait à pas légers la rue,

Sinon la jolie Peg, ma chérie!

Son air si doux, son corps si joli

Dont les proportions sont parfaites:

La Reine d'Amour n'a jamais marché

D'un mouvement plus enchanteur.

Les mains unies, nous pr?mes les sables,

Le long de la rivière sinueuse.

Et, oh! cette heure et ce recoin dans les genêts,

Est-il possible que je les oublie?[611]

à vrai dire, ce ne sont pas là encore des morceaux où la nature intervienne beaucoup. Un seul mot, un trait, donne l'impression que l'on est en plein air. On sent qu'on se trouve sous le ciel et loin des maisons. Cela ne va guère au-delà, et ces amoureux rustiques n'y voient pas plus loin. Quand Burns parle pour lui-même, cette part de l'extérieur s'élargit et forme autour de la figure féminine un véritable cadre de verdures et de lumières.

Vois, la nature revêt de fleurs le gazon,

Et tout est jeune et doux comme toi;

Oh! veux-tu partager sa joie avec moi?

Dis que tu seras ma chérie, ?!

Fillette aux blonds cheveux couleur de lin,

Jolie fillette, innocente fillette,

Veux-tu avec moi garder les troupeaux,

Veux-tu être ma chérie, ??

Les primevères des talus, le ruisseau sinueux,

Le coucou sur l'épine blanche comme le lait,

Les moutons joyeux, au prime matin,

Te diront la bienvenue, ma chérie, ?.

Quand la bienfaisante averse d'été

A réjoui les petites fleurs languissantes,

Nous irons vers le bosquet de l'odorant chèvrefeuille des bois,

Au chaud midi, ma chérie, ?!

Quand Cynthie éclaire, de son rayon d'argent,

Le faucheur fatigué qui retourne chez lui,

à travers les champs onduleux et jaunis, nous nous perdrons

Et parlerons d'amour, ma chérie, ?!

Et quand la hurlante rafale d'hiver

Troublera le repos nocturne de ma fillette,

Te serrant sur mon c?ur fidèle,

Je te rassurerai, ma chérie, ?![612]

Parmi un grand nombre de pièces, il y en a trois qui sont peut-être ce qu'il a fait de plus achevé dans ce genre. Il faut les citer toutes trois pour donner une idée de la merveilleuse variété avec laquelle il traitait les sujets les plus semblables. La première, avec son riche coloris de coucher de soleil printanier fut composée sur le domaine de Ballochmyle; il a raconté lui-même dans quelles circonstances. Bien qu'on l'ait vue dans la biographie, nous la redonnons ici pour la rapprocher des autres.

C'était le soir, sous la rosée les champs étaient verts,

à chaque brin d'herbe pendaient des perles;

Le Zéphyr se jouait autour des fèves,

Et emportait avec lui leur parfum;

Dans chaque vallon le mauvis chantait,

Toute la Nature paraissait écouter,

Sauf là où les échos des bois verts résonnaient,

Parmi les pentes de Ballochmyle.

D'un pas négligent, j'avan?ais, j'errais,

Mon c?ur se réjouissait de la joie de la nature,

Quand, rêvant dans une clairière solitaire,

J'entrevis, par hasard, une belle jeune fille:

Son regard était comme le regard du matin,

Son air, comme le sourire vernal de la nature,

La Perfection, en passant, murmurait:

?Regarde la fille de Ballochmyle.?

Doux est le matin de mai fleuri,

Et douce est la nuit dans le tiède automne,

Quand on erre dans le gai jardin,

Ou qu'on s'égare sur la lande solitaire;

Mais la femme est l'enfant chéri de la nature!

Dans la femme elle a rassemblé tous ses charmes;

Mais, même là, ses autres ouvrages sont éclipsés

Par la jolie fille de Ballochmyle.

Oh! que ne fut-elle une fille de campagne,

Et moi, l'heureux gars des champs!

Quoique abrité sous le plus humble toit

Qui s'éleva jamais sur les plaines écossaises!

Sous le vent et la pluie du morose hiver,

Avec joie, avec bonheur, je travaillerais,

Et la nuit je presserais sur mon c?ur,

La jolie fille de Ballochmyle.

Alors l'orgueil pourrait gravir les pentes glissantes

Où brillent bien haut la gloire et les honneurs;

Et la soif de l'or pourrait tenter l'ab?me,

Ou descendre et fouiller les mines de l'Inde;

Donnez-moi la chaumière, sous le sapin,

Un troupeau à soigner, un sol à bêcher,

Et chaque jour aura des joies divines

Avec la jolie fille de Ballochmyle[613].

La seconde a été écrite, à quelques semaines de la précédente, probablement pour Mary des Hautes-Terres. Comme tout ce qu'il a fait pour elle, c'est une de ses ?uvres les plus parfaites. Il est impossible de rendre, dans une traduction, la strophe caressante et fluide, qui coule avec la douceur et presque avec la musique d'une eau pure. C'est une de ses plus chastes et de ses plus poétiques inspirations.

Coule, doucement, doux Afton, entre tes rives vertes,

Coule doucement, je vais chanter une chanson à ta louange;

Ma Mary est endormie près de ton flot murmurant,

Coule doucement, doux Afton, ne trouble pas son rêve.

Toi, ramier, dont l'écho résonne dans le vallon,

Vous, merles, qui sifflez follement, dans cette gorge pleine d'épines,

Toi, vanneau à la crête verte, retiens ton cri per?ant,

Je vous en conjure, ne troublez pas ma bien-aimée qui dort.

Qu'elles sont hautes, doux Afton, les collines voisines,

Marquées au loin par le cours des clairs ruisseaux sinueux;

C'est là que, tous les jours, j'erre quand midi monte au ciel,

Contemplant mes troupeaux et la douce chaumière de ma Mary.

Qu'ils sont agréables tes bords, et les vertes vallées qui sont plus bas,

Où les primevères sauvages éclosent dans les bois;

Là souvent, quand le doux crépuscule pleure sur la pelouse,

Les bouleaux parfumés nous ombragent, ma Mary et moi.

Qu'elle glisse amoureusement, Afton, ton onde de cristal,

Quand tu contournes la chaumière où ma Mary demeure;

Que joyeusement tes eaux baignent ses pieds neigeux,

Quand cueillant de douces fleurs, elle suit tes flots clairs!

Coule doucement, doux Afton, entre tes rives vertes,

Coule doucement, douce rivière, sujet de ma chanson,

Ma Mary est endormie près de ton flot murmurant,

Coule doucement, doux Afton, ne trouble pas son rêve[614].

Enfin, la dernière nous transporte dans un paysage différent, plus sauvage et plus grand. Elle se rapporte, probablement, à quelque incident de son premier voyage de Mauchline à édimbourg.

Ces sauvages montagnes, aux flancs moussus, si hautes et si vastes,

Qui nourrissent dans leur sein, la jeune Clyde,

Où les grouses mènent leurs volées se nourrir à travers la bruyère,

Où le berger garde son troupeau, en jouant sur son roseau,

Où les grouses conduisent leurs volées se nourrir à travers la bruyère,

Où le berger garde son troupeau en jouant sur son roseau.

Ni les riches vallées de Gowrie, ni les bords soleilleux du Forth

N'ont pour moi les charmes de ces moors sauvages et moussus;

Car là, près d'un ruisseau clair, solitaire et écarté,

Vit une douce fillette, ma pensée et mon rêve,

Car là, près d'un ruisseau clair, solitaire et écarté,

Vit une douce fillette, ma pensée et mon rêve.

Parmi ces sauvages montagnes, sera toujours mon sentier,

Où chaque ruisseau qui tombe et écume a sa gorge étroite et verte,

Car là, avec ma fillette, j'erre tout le jour,

Tandis qu'au-dessus de nous, inaper?ues, passent les rapides heures de l'amour,

Car là, avec ma fillette, j'erre tout le jour,

Tandis qu'au-dessus de nous, inaper?ues, passent les rapides heures de l'amour.

Elle n'est pas la plus jolie, bien qu'elle soit jolie,

De fine éducation sa part n'est que petite,

Ses parents sont aussi humbles qu'on peut être humble;

Mais j'aime la chère fillette, parce qu'elle m'aime;

Ses parents sont aussi humbles qu'on peut être humble,

Mais j'aime la chère fillette, parce qu'elle m'aime.

Quel homme ne se rend captif à la Beauté,

Quand elle a son armure de regards, de rougeurs et de soupirs?

Et quand l'esprit et l'élégance ont poli ses traits,

Ils éblouissent nos yeux, en volant à nos c?urs;

Et quand l'esprit et l'élégance ont poli ses traits,

Ils éblouissent nos yeux en volant à nos c?urs.

Mais la tendresse, la douce tendresse dans l'étincelle amoureuse du regard,

à pour moi un éclat plus brillant que le diamant,

Et l'amour qui agite le c?ur, lorsque je suis serré dans ses bras,

Oh! tels sont les charmes vainqueurs de ma fillette!

Et l'amour qui agite le c?ur, quand je suis dans ses bras,

Oh! tels sont les charmes vainqueurs de ma fillette![615]

Ne sont-ce pas là trois choses exquises? Quelle est celle qu'on pourrait sacrifier ou choisir? Et voici, à c?té de ces pièces si simples, une autre plus complexe. La nature n'est plus seulement un cadre gracieux ou grandiose à la femme aimée, sans qu'elle participe aux sentiments exprimés. Elle devient une compagne dont la physionomie doit s'accorder avec la tristesse du poète, à laquelle elle doit prendre part.

Maintenant dans son manteau vert, la nature se pare

Et écoute les agneaux qui bêlent sur toutes les collines,

Tandis que les oiseaux gazouillent la bienvenue dans chaque bois vert

Mais pour moi tout est sans délices, ma Nannie est au loin.

La perce-neige et la primevère ornent nos bois,

Les violettes se baignent dans la rosée du matin,

Elles attristent mon triste c?ur, tant elles fleurissent doucement,

Elles me rappellent ma Nannie-et Nannie est au loin.

? alouette, qui t'élances des rosées de la prairie,

Pour avertir le berger que la grise aurore pointe,

Et toi, doux mauvis, qui salues la chute de la nuit,

Cessez par pitié, ma Nannie est au loin.

Viens, Automne, si pensif, vêtu de jaune et de gris,

Et calme-moi en m'annon?ant le déclin de la nature.

Le sombre et morne hiver, les farouches tourbillons de neige

Seuls sont mes délices maintenant que Nannie est au loin[616].

Dans ce mélange de nature et d'amour, il y a surtout une chose qu'il excelle à rendre. Ce sont les rendez-vous et les promenades le soir, les heures passées à deux, dans les champs, sous les ombrages complices ou les regards de la lune indulgente.

? toi, reine brillante qui, sur la plaine,

Règnes au plus haut, d'un pouvoir suprême,

Souvent ton regard, nous suivant silencieusement,

Nous a observés, errant tendrement[617].

Rien dans son ?uvre n'est plus exquis que ces scènes nocturnes, baignées de lumière argentée. Elles ont une grace plus rêveuse que ses autres pièces, qui presque toujours ont quelque chose de très arrêté. Elles font penser à ces couples d'amoureux qu'on voit passer dans les champs, pendant les nuits d'été, tels que Jules Breton les a peints quelquefois. L'ombre, effa?ant les précisions et les vulgarités du jour, les dégage des détails individuels; elle les généralise, pour ainsi dire, et ne leur laisse que le charme impersonnel et la signification anoblie et symbolique des attitudes. En effa?ant les lignes arrêtées et les limites étroites, par lesquelles la lumière emprisonne durement les objets en eux-mêmes, elle les fond davantage avec ce qui les entoure. Elle en fait des images et comme des rêves de l'Amour humain, enveloppé par la Nature. Celui-ci même, sous cette forme plus vaporeuse et dans cette attitude, s'harmonise avec les choses et semble une des expressions de la tiédeur des nuits. C'est un des moments favoris des poètes, et Burns en a laissé la formule dans une strophe charmante:

Que d'autres aiment les cités,

Et à se montrer, à briller, dans le soleil de midi;

Donnez-moi la vallée solitaire,

Le crépuscule baigné de rosée, la lune qui monte,

Qui resplendit, rayonne, et fait ruisseler

Sa lumière d'argent à travers les branches;

Tandis qu'avec des chutes et des appels de voix,

La grive amoureuse conclut sa chanson;

Là, chère Chloris, veux-tu errer,

Près des détours des ruisseaux, sous le feuillage des rives,

Et écouter mes v?ux de foi et d'amour,

Et me dire que tu m'aimes mieux que tous?[618]

C'est pour lui un sujet inépuisable et cela n'est pas étonnant. C'était hors du village que les jeunes paysans écossais allaient retrouver leur ma?tresse, le long des champs qu'ils se promenaient avec elle. Il est à présumer que c'est une habitude encore en vigueur en écosse, et ailleurs. Burns l'avait pratiquée. En revenant de ces nuits précieuses, il les chantait, et les pièces qu'il leur a consacrées appartiennent surtout à la période de Mauchline, pendant qu'il était encore jeune fermier. En voici une des plus gracieuses et des plus purement poétiques:

Voici que les vents d'ouest et les fusils meurtriers

Ramènent l'agréable temps d'automne;

Le coq de marais s'enlève d'un vol bruyant

Parmi la bruyère fleurissante;

Voici que le grain, ondoyant largement sur la plaine,

Réjouit le fermier fatigué;

Et la lune brillante luit, tandis que j'erre la nuit,

Pour songer à ma charmeresse.

Mais Peggy, ma chérie, le soir est clair,

Nombreuses volent les hirondelles effleurantes;

Le ciel est bleu, les champs au loin

Sont tous jaunes ou d'un vert pali.

Viens errer, heureux, par notre gai chemin,

Voir les charmes de la nature,

Le blé frémissant, l'épine en fruits,

Et toutes les créatures heureuses!

Nous marcherons lentement, nous causerons doucement,

Jusqu'à ce que la lune brille clairement,

Je presserai ta taille, et te serrant tendrement,

Je jurerai combien je t'aime chèrement.

Ni les pluies printanières, aux fleurs écloses;

Ni l'automne, au fermier,

Ne peuvent être aussi chers que tu l'es pour moi,

Ma belle, ma douce charmeresse![619]

Toutefois, avec Burns, la réalité ne perd jamais ses droits. Au lendemain des soirées où les couples ont passé dans un vaporeux éloignement, il arrive qu'on aper?oit, à la lisière des champs, des endroits où les épis renversés vous rappellent que ces ombres poétiques étaient après tout des êtres humains. Chez certains poètes, comme Lamartine, le clair de lune ne se dissipe jamais et la rêverie persiste. Mais, dans Burns, il y a toujours un endroit où les blés sont couchés.

Les sillons de blé et les sillons d'orge

Les sillons de blé sont beaux!

Je n'oublierai pas cette nuit heureuse

Avec Annie, parmi les sillons.

C'était la nuit du premier ao?t,

Quand les sillons de blé sont beaux,

Sous la lumière pure de la lune,

Je m'en allai vers Annie;

Le temps s'envola à notre insu,

Si bien qu'entre le tard et le t?t,

En la pressant un peu, elle consentit

à m'accompagner à travers les orges.

Le ciel était bleu, le vent paisible,

La lune clairement brillait,

Je la fis asseoir, elle le voulut bien,

Parmi les sillons d'orge.

Je savais que son c?ur était à moi,

Et moi, je l'aimais très sincèrement;

Je l'embrassai mainte et mainte fois,

Parmi les sillons d'orge.

Je l'emprisonnai dans une étreinte passionnée,

Comme son c?ur battait!

Béni soit cet heureux endroit

Parmi les sillons d'orge!

Mais, par la lune et les étoiles si belles,

Qui si clairement brillaient sur cette heure,

Elle bénira toujours cette nuit heureuse

Parmi les sillons d'orge.

J'ai été gai avec de chers camarades,

J'ai été joyeux en buvant,

J'ai été content en amassant du bien,

J'ai été heureux en songeant.

Mais tous les plaisirs que j'ai jamais vus,

Quand on les doublerait trois fois,

Cette heureuse nuit les valait tous,

Parmi les sillons d'orge.

Les sillons de blé et les sillons d'orge

Les sillons de blé sont beaux!

Je n'oublierai pas cette nuit heureuse

Avec Annie, parmi les sillons![620]

Malgré ces rappels de réalité, toutes ces pièces sont charmantes. En littérature anglaise, je ne vois de supérieur en ce genre, parce qu'ils sont d'une inspiration plus élevée, que deux morceaux. Le premier est l'incomparable passage qui se trouve à la fin du Marchand de Venise, quand les sons de la musique arrivent dans le calme de la nuit, et que, dans cette atmosphère doucement ébranlée d'harmonie, les ames des deux amants s'élèvent jusqu'à la musique des sphères[621]. Le second est cette merveilleuse et chaste vision d'Edgar Poe, lorsqu'il aper?oit Helen, vêtue de blanc, dans le jardin enchanté, tandis que de l'orbe plein de la lune, une lumière de perle tombait sur les faces d'un millier de roses tournées vers le ciel[622]. Les pièces nocturnes de Burns n'ont pas la profondeur, le charme vaporeux, et le mystère de ces admirables morceaux. Elles n'en forment pas moins une des plus jolies évocations de l'amour, aux heures bleuatres et argentées qui semblent être surtout les siennes.

Cela suffirait déjà pour faire de lui un poète d'amour distingué, mais on peut dire que ce ne sont là que des exceptions, des criques retirées et tranquilles, dans le grand courant de son ?uvre. Ce qui est bien à lui, ce n'est ni la finesse, ni la recherche; c'est la passion sincère et vraie; c'est la simplicité, l'ardeur, l'impétuosité du désir, l'émotion contenue dans une forme si atténuée, si réduite, qu'elle n'existe pour ainsi dire plus et ne s'interpose pas. Elle est comme br?lée par la flamme intérieure. Là, il est incomparable, direct, fort, et d'une simplicité merveilleuse. Il n'y a pas de luxe d'image; il n'y a pas de recherche d'esprit; il n'y a pas de déploiement poétique, pas d'élégance, pas de profondeur; il y a de la passion pure. Elle br?le clair, tant elle est dégagée de tout autre élément. C'est ici vraiment le c?ur de son ?uvre, le véritable amas de ces fins et brillants coquillages qui sont bien à lui. Ils ont des teintes diverses, plus claires ou plus sombres, ils contiennent des échos différents, selon qu'ils ont été laissés sur le rivage par des jours de gaieté ou des jours de tristesse; mais ils ont tous le même caractère de netteté. On peut ramasser au hasard, on est à peu près s?r d'avoir dans la main quelque chose de précieux, un petit chef-d'?uvre.

Dans les teintes claires de l'amour, voici des pièces légères, des minauderies, des gentillesses enjouées et badines, de petits compliments, des déclarations sans importance, jetées en passant. Ces mignardises calines elles-mêmes sont simples.

Jolie petite chose, fine petite chose,

Adorable petite chose, si tu étais à moi,

Je te porterais dans mon sein,

De peur de perdre mon bijou.

Songeusement, je regarde, et je languis,

Ce joli visage qui est tien;

Et mon c?ur tressaille d'angoisse,

De peur que ma petite chose ne soit pas mienne.

Esprit et Grace, et Amour, et Beauté,

En une constellation brillent;

T'adorer est mon devoir,

Déesse de cette ame qui est mienne!

Jolie petite chose, fine petite chose,

Adorable petite chose, si tu étais à moi,

Je te porterais dans mon sein,

De peur de perdre mon bijou![623]

Et celle-ci encore:

?! mets ta main dans la mienne, fillette;

Dans la mienne, fillette; dans la mienne, fillette;

Et jure sur cette blanche main, fillette,

Que tu seras à moi.

J'ai été l'esclave du despotique amour,

Souvent il m'a bien fait souffrir;

Mais maintenant il me fera mourir,

Si tu n'es pas à moi.

Mainte fillette a jadis troublé mon repos,

Que, pour un court moment, je préférais;

Mais tu es reine dans mon c?ur,

Pour y rester toujours.

Oh! mets la main dans la mienne, fillette;

Dans la mienne, fillette; dans la mienne, fillette;

Et jure sur cette blanche main mignonne

Que tu seras à moi[624].

Parfois ce sont, dans le même genre, de simples cajoleries, quelques mots caressants mis autour d'un baiser et se jouant avec lui. C'est plus simple et plus net que le compte embrouillé des baisers de Catulle[625].

Je t'embrasserai encore, encore,

Je t'embrasserai de nouveau,

Je t'embrasserai encore, encore,

Ma jolie Peggy Alison.

Tous soucis et toutes craintes, quand tu es près,

Je les défie. ?!

Les jeunes rois sur leurs jeunes tr?nes

Sont moins heureux que moi. ?!

Quand dans mes bras, avec tous tes charmes,

Je serre mon trésor infini. ?!

Je ne demande pour ma part du ciel

Que le plaisir de pareils moments. ?!

Et par tes yeux si doucement bleus,

Je jure que je suis à toi pour jamais. ?!

Et sur tes lèvres, je scelle mon v?u,

Et je ne le briserai jamais. ?!

Je t'embrasserai encore, encore,

Je t'embrasserai de nouveau,

Je t'embrasserai encore, encore,

Ma jolie Peggy Alison[626].

Veut-on de la simplicité dans la grace attendrie? quelques paroles à moitié ou tout à fait émues? En voici encore, où tant?t la délicatesse domine comme dans la première des pièces qui suivent, et où tant?t la tendresse la restreint et la remplace presque, ne lui laissant qu'une petite place, comme dans celles qui viennent ensuite.

? jolie Polly Stewart,

? charmante Polly Stewart!

Il n'y a pas une fleur qui fleurit en Mai,

Qui soit à moitié aussi belle que toi!

La fleur fleurit, puis se fane et tombe,

Et l'art ne peut la raviver;

Mais, par la vertu et la candeur, toujours jeune

Restera Polly Stewart!

Puisse celui dont les bras posséderont tes charmes,

Avoir un c?ur loyal et sincère;

Qu'il lui soit donné de conna?tre le Paradis,

Qu'il possède en Polly Stewart!

? adorable Polly Stewart,

? charmante Polly Stewart!

Il n'y a pas une fleur qui fleurit en Mai,

Qui soit à moitié aussi jolie que toi![627]

Quoi de plus simple que cette strophe?

Quand la cruelle destinée nous séparerait,

Aussi loin que du p?le à l'équateur,

Sa chère pensée autour de mon c?ur

S'enroulerait tendrement.

Que les montagnes se dressent, et les déserts hurlent,

Et les océans rugissent entre nous,

Cependant, plus chère que mon ame immortelle,

J'aimerais encore ma Jane[628].

Celle-ci fut une de ses toutes premières chansons; elle fut écrite au commencement de son séjour à Mauchline:

? Mary, sois à ta fenêtre,

C'est l'heure convoitée et convenue!

Laisse-moi voir ces sourires et ces regards,

Qui font mépriser le trésor de l'avare:

Avec quelle joie je supporterais la poussière,

Peinant en esclave du matin au soir,

Si je pouvais m'assurer la riche récompense,

La jolie Mary Morison!

Hier soir, quand, au son tremblant des cordes,

La danse traversait la salle éclairée,

Vers toi ma pensée prit son vol.

Je restai assis, mais sans voir, ni entendre,

Bien que celle-ci f?t jolie, et celle-là brillante,

Et celle-ci l'orgueil de la ville,

Je soupirais et disais au milieu d'elles toutes:

?Vous n'êtes pas Mary Morison!?

? Mary, peux-tu briser le repos

De celui qui, pour loi, mourrait avec joie?

Et peux-tu bien briser son c?ur

Dont la seule faute est de t'aimer?

Si tu ne veux pas rendre amour pour amour,

Du moins, montre-moi de la pitié;

Une pensée sans douceur ne saurait être

La pensée de Mary Morison[629].

Et celle-ci, dont les derniers vers sont si simples, est au contraire de ses dernières années:

Le jour revient, et mon c?ur est en flamme,

Le jour béni où nous nous rencontrames;

Quoique l'apre hiver se fatiguat en tempêtes,

Jamais soleil d'été ne m'a paru si doux.

Plus que les trésors qui chargent les mers

Et traversent la ligne enflammée,

Plus que les robes royales, les couronnes et les globes,

Le ciel m'a accordé;-car il t'a faite mienne.

Tant que le jour et la nuit amèneront des délices,

Tant que la nature donnera des plaisirs,

Tant que les joies passeront sur mon esprit,

Pour toi et toi seule, je vivrai.

Quand le sombre ennemi de la vie ici-bas

Viendra entre nous deux nous séparer,

La main de fer qui brisera notre lien

Brisera mon bonheur, brisera mon c?ur![630]

Et voici encore de la simplicité dans la mélancolie et dans la tristesse; des regrets tels qu'ils naissent dans les c?urs simples et s'exhalent sur des lèvres qui ignorent la recherche. Ils passent naturellement de l'ame dans la voix, ne prenant que peu de mots pour s'exprimer et se changeant presque involontairement en son, comme ces chagrins secrets qui se prolongent en soupirs.

J'ai été aussi joyeux sur cette colline

Que les agneaux qui jouaient devant moi;

Chacune de mes pensées était aussi insouciante et libre

Que la brise qui passait sur mon front.

Maintenant, ni ébats, ni jeux,

Ni ga?té, ni chanson ne peuvent plus me plaire;

Leslie est si jolie et si timide!

Le souci et l'angoisse m'ont saisi!

Lourde, lourde est la tache

De déclarer un amour sans espoir:

Tremblant, je n'ose que regarder,

Soupirant, muet, désespéré.

Si elle ne soulage pas les tourments

Qui remplissent ma poitrine,

Sous la motte de gazon vert,

J'irai bient?t demeurer[631].

Ces deux derniers vers sont, dans le texte, d'une tristesse inexprimable. On trouve les mêmes qualités dans cet autre morceau:

Mon c?ur est triste,-je n'ose pas le dire,

Mon c?ur est triste pour l'amour de quelqu'un,

Je veillerais une nuit d'hiver,

Pour l'amour de quelqu'un.

Oh hon! pour quelqu'un,

Oh hon! pour quelqu'un,

J'errerais autour du monde

Pour l'amour de quelqu'un.

Vous Pouvoirs qui souriez aux amours vertueux.

Oh! doucement, souriez à quelqu'un!

De tout danger, gardez-le libre,

Rendez-moi sauf mon quelqu'un.

Oh hon! pour quelqu'un

Oh hey! pour quelqu'un,

Je ferais-que ne ferais-je pas?

Pour l'amour de quelqu'un[632].

Et celle-ci encore d'une si grande na?veté de plaint, et par cela même si touchante:

Est-ce là ta foi, ta tendresse, ta bonté,

Nous quitter ainsi cruellement, ma Katy?

Est-ce là ta récompense envers ton ami fidèle,

Envers un c?ur souffrant et brisé, ma Katy?

Peux-tu me quitter ainsi, ma Katy?

Peux-tu me quitter ainsi, ma Katy?

Tu connais bien que mon c?ur souffre.

Peux-tu me quitter ainsi, par pitié?

Adieu, que jamais ces chagrins ne déchirent

Ce c?ur inconstant qui est tien, ma Katy?

Tu pourras trouver qui t'aimera chèrement,

Mais pas un amour comme le mien, ma Katy![633]

Au milieu de ces gerbes de pièces amoureuses, celles qui ont été dédiées à Clarinda forment une javelle à part. Aucunes n'offrent d'une fa?on plus frappante ce merveilleux mélange de passion et de simplicité, qui fait son originalité dans la troupe si nombreuse des poètes de l'amour. Elles ont été citées dans la biographie et il est superflu de les redonner ici. Qu'on se rappelle les vers sur cette nuit de Décembre qui fut plus douce qu'aucun des matins de mai[634], sur le rivage où il errera solitaire au milieu des cris d'oiseaux de mer[635], et surtout cette navrante pièce sur le dernier baiser, le baiser d'adieu éternel qui semble déchirer les lèvres qui se le donnent et les retient cependant éperdues et prises dans son amère douceur[636]. Les simples et douloureux couplets sont désormais dans la littérature anglaise la plainte définitive des c?urs brisés. Qu'on relise ces pièces pour voir avec quels simples moyens on peut rendre ses plus puissantes émotions et la plus ardente passion.

Et cependant, ce n'est pas encore là le terme extrême. Il a été plus loin, aussi difficile que cela puisse sembler. Parfois il est plus bref encore. Il semble qu'il n'y ait plus rien. Les pièces sont dépouillées du moindre contenu intellectuel, elles sont vides. Tout s'en est retiré, images, idées, couleur. Que leur reste-t-il donc? La passion. Elles tremblent d'une flamme invisible. L'effet est insaisissable et pénétrant. Cela ne peut se comparer qu'à l'émotion que le frémissement de la voix donne à des mots insignifiants. Et ces pièces si simples ne se laissent pas lire sans contraindre la voix à changer d'expression à chaque vers, et sans parfois la charger d'attendrissement. Qu'on prenne, par exemple, la pièce suivante:

Oh! veux-tu venir avec moi, douce Tibbie Dunbar!

Oh! veux-tu venir avec moi, douce Tibbie Dunbar?

Veux-tu partir sur un cheval ou dans une voiture,

Ou marcher à mes c?tés, oh! douce Tibbie Dunbar.

Peu m'importe ton père, tes terres et ton argent,

Peu m'importe ta race haute et seigneuriale!

Dis seulement que tu veux m'avoir pour heur ou malheur,

Et viens dans ton petit manteau, douce Tibbie Dunbar![637]

Ce n'est rien, et, dans l'original, cela est ravissant. Presque tout l'effet est d? à l'habile répétition et au retour caressant du nom propre. Sans doute, il est difficile de se rendre compte du charme qu'a ce retour. Tout est dans l'inflexion musicale et sa douceur. Il faut pour cela se mettre en mémoire des effets analogues, se répéter la musique de certaines syllabes, se souvenir de certains vers de nos propres poètes, rendus mélodieux par un nom de femme, se dire, avec Ronsard:

Marie, qui voudrait retourner votre nom?

Il trouverait aimer[638].

ou avec André Chénier:

? Camille! l'amour aime la solitude,

Ce qui n'est point Camille est un ennui pour moi...

Camille est un besoin dont rien ne me soulage;

Rien à mes yeux n'est beau que de sa seule image,

Sur l'herbe, sur la soie, au village, à la ville,

Partout, reine ou bergère, elle est toujours Camille[639].

ou avec Victor Hugo:

Thérèse la duchesse à qui je donnerais,

Si j'étais roi, Paris, si j'étais Dieu, le monde,

Quand elle ne serait que Thérèse la blonde;

Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant[640].

Et l'on arrive alors, non pas à saisir le charme de cette jolie petite pièce, mais à se rendre compte du genre de charme qu'elle peut avoir, car elle est dans sa langue originale beaucoup plus accomplie que les exemples que nous avons donnés en fran?ais. En voici une autre du même genre et peut-être plus simple encore:

Et oh! mon Eppie

Mon bijou, mon Eppie,

Qui ne serait heureux

Avec Eppie Adair?

Par l'amour, la beauté,

Par la loi, le devoir!

Je jure d'être fidèle à

Mon Eppie Adair!

Et oh! mon Eppie,

Mon bijou, mon Eppie,

Qui ne serait heureux,

Avec Eppie Adair?

Que le plaisir m'exile,

Que le déshonneur me souille,

Si jamais je te trahis,

Mon Eppie Adair![641]

Ici encore, on peut dire que la pièce se compose de la répétition d'un nom. Les vers intermédiaires ne servent qu'à le faire prononcer avec des inflexions différentes. Mais la pièce est si harmonieuse, les sonorités des rimes accompagnent et font valoir si bien celle du nom propre, que celui-ci prend une valeur musicale et poétique qui se passe de sens. Il revient avec persistance et avec une grace chaque fois accrue, comme ce nom que les amants redisent machinalement et avec délices. Il finit par prendre la douceur qui ravissait le héros du poème de Tennyson quand, en se promenant dans le jardin, près du chateau, il entendait les oiseaux qui disaient: ?Maud! Maud! Maud?! Et c'était pour lui la plus divine des musiques[642].

Il en est de même pour la passion. Dans la pièce suivante, tout le geste d'énergie farouche et désespérée, l'accent brusque et sombre de la voix qui accompagnent un adieu, est rendu par les vers courts et hachés qui terminent les strophes et surtout la seconde.

Si j'avais une caverne sur un rivage lointain et sauvage,

Où les vents hurlent sur les bonds rugissants des vagues,

J'y pleurerais mes chagrins,

J'y chercherais mon repos perdu,

Jusqu'à ce que la peine ferme mes yeux,

Pour ne plus m'éveiller.

La plus fausse des femmes, oses-tu déclarer

Que les chers v?ux donnés sont légers comme l'air?

Va-t-en à ton nouvel amant,

Ris de ton parjure,

Et cherche dans ton c?ur

Quelle paix tu y trouves![643]

Et je ne crois pas qu'il soit possible de mettre plus de passion en moins de mots que dans ces deux pièces que nous citons encore. La première est un pur cri, mais si simple, si franc, si sincère, qu'il devient poignant. Ce sont toujours les mêmes mots, comme dans la réalité, mais qui reviennent avec un appel de plus en plus désespéré.

Reste, ma charmeresse, peux-tu me quitter?

Cruelle, cruelle, de me tromper!

Tu sais combien tu me tortures,

Cruelle charmeresse, peux-tu t'en aller?

Cruelle charmeresse, peux-tu t'en aller?

Par mon amour si mal récompensé,

Par ta foi tendrement promise,

Par les tourments des amants dédaignés,

Ne me quitte pas, ne me quitte pas ainsi!

Ne me quitte pas, ne me quitte pas ainsi![644]

La seconde est une plainte mélancolique de jeune fille délaissée. Elle est faite aussi avec le retour des mêmes paroles, la répétition de la même phrase, une modulation triste qui se recommence. L'effet en est navrant. Il est impossible de lire, dans l'original, cette pièce, qui ne contient pas une image et qui est presque sans pensée, sans que, vers la fin, et par une inexprimable émotion qui est on ne sait où, la voix ne s'altère. C'est une des plus merveilleuses choses que Burns ait écrites. Au-delà d'une pièce de ce genre, la poésie cesse et il n'y a plus que l'émotion purement musicale.

Tu m'as quittée pour jamais, Jamie,

Tu m'as quittée pour jamais;

Tu m'as quittée pour jamais, Jamie,

Tu m'as quittée pour jamais.

Souvent tu m'as promis que la mort

Seule nous séparerait;

Maintenant, tu as quitté ta fillette pour toujours,

Je ne dois jamais te revoir, Jamie,

Je ne te reverrai jamais.

Tu m'as abandonnée, Jamie,

Tu m'as abandonnée;

Tu m'as abandonnée, Jamie,

Tu m'as abandonnée.

Tu peux en aimer une autre,

Tandis que mon c?ur se brise.

Bient?t je fermerai mes yeux las

Pour ne plus me réveiller, Jamie,

Pour ne plus me réveiller![645]

Cette abondance de pièces, semées dans toutes les directions, suffirait à faire de Burns un des plus variés et des plus copieux poètes de l'amour. Mais il convient de ne pas oublier que la portion la plus élevée, la plus riche de sa poésie amoureuse ne figure pas ici, nous voulons dire ses pièces personnelles qui marquent les crises de sa vie. à celles qui viennent d'être données, il faut en ajouter bien d'autres: ses premières chansons d'amour. Derrière les collines où le Lugar coule[646], ses vers à Anna Park, si brutalement luxurieux[647]; la série des morceaux à Jane Lorimer, d'un si joli coloris de désir[648]; les strophes à sa petite garde-malade Jessy Lewars[649], sans parler des poèmes inspirés par Clarinda. Il faut se remettre en mémoire les chansons à Jane Armour: De tous les points d'où souffle le vent, J'ai une femme à moi, Si j'étais sur la colline du Parnasse[650]; et surtout les pièces écrites au moment de leur séparation et dans lesquelles vit quelque chose du désespoir des Nuits[651]. Enfin au-dessus de tout cela, pour la hauteur de l'inspiration, la pureté du sentiment, pour le désintéressement qu'on trouve rarement dans ses vers d'amour, il faut placer les poésies à Mary Campbell. Il faut mettre, au sommet, ce cri de remords et de douleur par lequel, tandis que l'étoile attardée qui aime à saluer le matin ramenait l'anniversaire des adieux, prosterné à terre, il implorait la chère ombre disparue de baisser les yeux vers lui, de sa place de repos bienheureux, et d'accueillir les gémissements qui déchiraient sa poitrine[652]. Et cet autre sanglot, peut-être plus poignant encore, lorsque semblant renoncer à l'espoir d'une réunion future, il épanche une douleur que le temps renouvelle, et pense que ce c?ur dont il a été aimé se dissout maintenant en poussière silencieuse[653]. Ce sont des accents qui élèvent sa gloire. Grace à eux il a atteint au rang des plus douloureux et partant des plus divins chantres de la divine et douloureuse passion; il est parmi ceux qui ont su aimer les mortes et saigner d'un souvenir. Les vers à Mary Campbell se sont envolés jusqu'à la sphère où chantent les élégies célestes, les canzones à Laure, le Crucifix, les Vers à Graziella[654]. Il y a dans la couronne de Burns deux feuilles du laurier de Pétrarque et de Lamartine, mais deux feuilles seulement.[Lien vers la Table des matières.]

            
            

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