Chapter 7 UN PRINCE DU LIBAN

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I-LA MONTAGNE

J'avais accepté avec empressement l'invitation, faite par le prince ou émir du Liban qui m'était venu visiter, d'aller passer quelques jours dans sa demeure, située à peu de distance d'Antoura, dans le Kesrouan. Comme on devait partir le lendemain matin, je n'avais plus que le temps de retourner à l'h?tel de Battista, où il s'agissait de s'entendre sur le prix de la location du cheval qu'on m'avait promis.

On me conduisit dans l'écurie, ou il n'y avait que de grands chevaux osseux, aux jambes fortes, à l'échine aigu? comme celle des poissons...; ceux-là n'appartenaient pas assurément à la race des chevaux nedjis, mais on me dit que c'étaient les meilleurs et les plus s?rs pour grimper les apres c?tes des montagnes. Les élégants coursiers arabes ne brillent guère que sur le turf sablonneux du désert. J'en indiquai un au hasard, et l'on me promit qu'il serait à ma porte le lendemain, au point du jour. On me proposa pour m'accompagner un jeune gar?on nommé Moussa (Mo?se), qui parlait fort bien l'italien. Je remerciai de tout mon c?ur le signor Battista, qui s'était chargé de cette négociation, et chez lequel je promis de venir demeurer à mon retour.

La nuit était tombée, mais les nuits de Syrie ne sont qu'un jour bleuatre; tout le monde prenait le frais sur les terrasses, et cette ville, à mesure que je la regardais en remontant les collines extérieures, affectait des airs babyloniens. La lune découpait de blanches silhouettes sur les escaliers que forment de loin ces maisons qu'on a vues dans le jour si hautes et si sombres et dont les têtes des cyprès et des palmiers rompent ?à et là l'uniformité.

Au sortir de la ville, ce ne sont d'abord que végétaux difformes, aloès, cactus et raquettes, étalant, comme les dieux de l'Inde, des milliers de têtes couronnées de fleurs ronges, et dressant sur vos pas des épées et des dards assez redoutables; mais, en dehors de ces cl?tures, on retrouve l'ombrage éclairci des m?riers blancs, des lauriers et des limoniers aux feuilles luisantes et métalliques. Des mouches lumineuses volent ?à et là, égayant l'obscurité des massifs. Les hautes demeures éclairées dessinent au loin leurs ogives et leurs arceaux, et, du fond de ces manoirs d'un aspect sévère, on entend parfois le son des guitares accompagnant des voix mélodieuses.

Au coin du sentier qui tourne en remontant à la maison que j'habite, il y a un cabaret établi dans le creux d'un arbre énorme. Là se réunissent les jeunes gens des environs, qui restent à boire et à chanter d'ordinaire jusqu'à deux heures du matin. L'accent guttural de leurs voix, la mélopée tra?nante d'un récitatif nasillard, se succèdent chaque nuit, au mépris des oreilles européennes qui peuvent s'ouvrir aux environs; j'avouerai pourtant que cette musique primitive et biblique ne manque pas de charme quelquefois pour qui sait se mettre au-dessus des préjugés du solfège.

En rentrant, je trouvai mon h?te maronite et toute sa famille qui m'attendaient sur la terrasse attenante à mon logement. Ces braves gens croient vous faire honneur en amenant tous leurs parents et leurs amis chez vous. Il fallut leur faire servir du café et distribuer des pipes, ce dont, au reste, se chargeaient la ma?tresse et les filles de la maison, aux frais naturellement du locataire. Quelques phrases mélangées d italien, de grec et d'arabe, défrayaient assez péniblement la conversation. Je n'osais pas dire que, n'ayant point dormi dans la journée et devant partir à l'aube du jour suivant, j'aurais aimé à regagner mon lit; mais, après tout, la douceur de la nuit, le ciel étoile, la mer étalant à nos pieds ses nuances de bleu nocturne blanchies ?à et là par le reflet des astres, me faisaient supporter assez bien l'ennui de cette réception. Ces bonnes gens me firent enfin leurs adieux, car je devais partir avant leur réveil, et, en effet, j'eus à peine le temps de dormir trois heures d'un sommeil interrompu par le chant des coqs.

En m'éveillant, je trouvai le jeune Moussa assis devant ma porte, sur le rebord de la terrasse. Le cheval qu'il avait amené stationnait au bas du perron, ayant un pied replié sous le ventre au moyen d'une corde, ce qui est la manière arabe de faire tenir en place les chevaux. Il ne me restait plus qu'à m'embo?ter dans une de ces selles hautes à la mode turque, qui vous pressent comme un étau et rendent la chute presque impossible. De larges étriers de cuivre, en forme de pelle à feu, sont attachés si haut, qu'on a les jambes pliées en deux; les coins tranchants servent à piquer le cheval. Le prince sourit un peu de mon embarras à prendre les allures d'un cavalier arabe, et me donna quelques conseils. C'était un jeune homme d'une physionomie franche et ouverte, dont l'accueil m'avait séduit tout d'abord; il s'appelait Abou-Miran, et appartenait à une branche de la famille des Hobe?sch, la plus illustre du Kesrouan. Sans être des plus riches, il avait autorité sur une dizaine de villages composant un district, et en rendait les redevances au pacha de Tripoli.

Tout le monde étant prêt, nous descend?mes jusqu'à la route qui c?toie le rivage, et qui, ailleurs qu'en Orient, passerait pour un simple ravin. Au bout d'une lieue environ, on me montra la grotte d'où sortit le fameux dragon qui était prêt à dévorer la fille du roi de Beyrouth, lorsque saint Georges le per?a de sa lance. Ce lieu est très-révéré par les Grecs et par les Turcs eux-mêmes, qui ont construit une petite mosquée à l'endroit même où eut lieu le combat.

Tous les chevaux syriens sont dressés à marcher à l'amble, ce qui rend leur trot fort doux. J'admirais la s?reté de leur pas à travers les pierres roulantes, les granits tranchants et les roches polies que l'on rencontre à tous moments.... Il fait déjà grand jour, nous avons dépassé le promontoire fertile de Beyrouth, qui s'avance dans la mer d'environ deux lieues, avec ses hauteurs couronnées de pins parasols et son escalier de terrasses cultivées en jardins; l'immense vallée qui sépare deux cha?nes de montagnes étend à perte de vue son double amphithéatre, dont la teinte violette et constellée ?à et là de points crayeux, qui signalent un grand nombre de villages, de couvents et de chateaux. C'est un des plus vastes panoramas du monde, un de ces lieux où l'ame s'élargit, comme pour atteindre aux proportions d'un tel spectacle. Au fond de la vallée coule le Nahr-Beyrouth, rivière l'été, torrent l'hiver, qui va se jeter dans le golfe, et que nous traversames à l'ombre des arches d'un pont romain.

Les chevaux avaient de l'eau seulement jusqu'à mi-jambe: des tertres couverts d'épais buissons de lauriers-roses divisent le courant et couvrent de leur ombre le lit ordinaire de la rivière; deux zones de sable, indiquant la ligne extrême des inondations, détachent et font ressortir sur tout le fond de la vallée ce long ruban de fleurs et de verdure. Au delà commencent les premières pentes de la montagne; des grès verdis par les lichens et les mousses, des caroubiers tortus, des chênes rabougris à la feuille teintée d'un vert sombre, des aloès et des nopals, embusqués dans les pierres, comme des nains armés mena?ant l'homme à son passage, mais offrant un refuge à d'énormes lézards verts qui fuient par centaines sous les pieds des chevaux: voilà ce qu'on rencontre en gravissant les premières hauteurs. Cependant de longues places de sable aride déchirent ?à et là ce manteau de végétation sauvage. Un peu plus loin, ces landes jaunatres se prêtent à la culture et présentent des lignes régulières d'oliviers.

Nous e?mes atteint bient?t le sommet de la première zone des hauteurs, qui, d'en bas, semble se confondre avec le massif du Sannin. Au delà s'ouvre une vallée qui forme un pli parallèle à celle du Nahr-Beyrouth, et qu'il faut traverser pour atteindre la seconde crête, d'où l'on en découvre une autre encore. On s'aper?oit déjà que ces villages nombreux, qui de loin semblaient s'abriter dans les flancs noirs d'une même montagne, dominent au contraire et couronnent des cha?nes de hauteurs que séparent des vallées et des ab?mes; on comprend aussi que ces lignes, garnies de chateaux et de tours, présenteraient à toute armée une série de remparts inaccessibles, si les habitants voulaient, comme autrefois, combattre réunis pour les mêmes principes d'indépendance. Malheureusement, trop de peuples ont intérêt à profiter de leurs divisions.

Nous nous arrêtames sur le second plateau, où s'élève une église maronite, batie dans le style byzantin. On disait la messe, et nous mimes pied à terre devant la porte, afin d'en entendre quelque chose. L'église était pleine de inonde, car c'était un dimanche, et nous ne p?mes trouver place qu'aux derniers rangs.

Le clergé me sembla vêtu à peu près comme celui des Grecs; les costumes sont assez beaux, et la langue employée est l'ancien syriaque, que les prêtres déclamaient ou chantaient d'un ton nasillard qui leur est particulier. Les femmes étaient toutes dans une tribune élevée et protégées par un grillage. En examinant les ornements de l'église, simples, mais fra?chement réparés, je vis avec peine que l'aigle noire à double tête de l'Autriche décorait chaque pilier, comme symbole d'une protection qui jadis appartenait à la France seule. C'est depuis notre dernière révolution seulement que l'Autriche et la Sardaigne luttent avec nous d'influence dans l'esprit et dans les affaires des catholiques syriens.

Une messe, le matin, ne peut point faire de mal, à moins que l'on n'entre en sueur dans l'église et que l'on ne s'expose à l'ombre humide qui descend des vo?tes et des piliers; mais cette maison de Dieu était si propre et si riante, les cloches nous avaient appelés d'un si joli son de leur timbre argentin, et puis nous nous étions tenus si près de l'entrée, que nous sort?mes de là gaiement, bien disposés pour le reste du voyage. Nos cavaliers repartirent au galop en s'interpellant avec des cris joyeux; faisant mine de se poursuivre, ils jetaient devant eux, comme des javelots, leurs lances ornées de cordons et de houppes de soie, et les retiraient ensuite, sans s'arrêter, de la terre ou des troncs d'arbre où elles étaient allées se piquer au loin.

Ce jeu d'adresse dura peu, car la descente devenait difficile, et le pied des chevaux se posait plus timidement sur les grès polis ou brisés en éclats tranchants. Jusque-là, le jeune Moussa m'avait suivi à pied, selon l'usage des moukres, bien que je lui eusse offert de le prendre en croupe; mais je commen?ais à envier son sort. Saisissant ma pensée, il m'offrit de guider le cheval, et je pus traverser le fond de la vallée en coupant au court dans les taillis et dans les pierres. J'eus le temps de me reposer sur l'autre versant et d'admirer l'adresse de nos compagnons à chevaucher dans des ravins qu'on jugerait impraticables en Europe.

Cependant nous montions à l'ombre d'une forêt de pins, et le prince mit pied à terre comme moi. Un quart d'heure après, nous nous trouvames au bord d'une vallée moins profonde que l'autre, et formant comme un amphithéatre de verdure. Des troupeaux paissaient l'herbe autour d'un petit lac, et je remarquai là quelques-uns de ces moutons syriens dont la queue, alourdie par la graisse, pèse jusqu'à vingt livres. Nous descend?mes, pour faire rafra?chir les chevaux, jusqu'à une fontaine couverte d'un vaste arceau de pierre et de construction antique, à ce qu'il me sembla. Plusieurs femmes, gracieusement drapées, venaient remplir de grands vases, qu'elles posaient ensuite sur leur tête; celles-là naturellement ne portaient pas la haute coiffure des femmes mariées; c'étaient des jeunes filles ou des servantes.

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II-UN VILLAGE MIXTE

En avan?ant de quelques pas encore au delà de la fontaine, et toujours sous l'ombrage des pins, nous nous trouvames à l'entrée du village de Bethmérie, situé sur un plateau, d'où la vue s'étend, d'un c?té, vers le golfe, et, de l'autre, sur une vallée profonde, au delà de laquelle de nouvelles crêtes de monts s'estompent dans un brouillard bleuatre. Le contraste de cette fra?cheur et de cette ombre silencieuse avec l'ardeur des plaines et des grèves qu'on a quittées il y a peu d'heures, est une sensation qu'on n'apprécie bien que sous de tels climats. Une vingtaine de maisons étaient répandues sous les arbres et présentaient à peu près le tableau d'un de nos villages du Midi. Nous nous rend?mes à la demeure du cheik, qui était absent, mais dont la femme nous fit servir du lait caillé et des fruits.

Nous avions laissé sur notre gauche une grande maison, dont le toit écroulé et les solives charbonnées indiquaient un incendie récent. Le prince m'apprit que c'étaient les Druses qui avaient mis le feu à ce batiment, pendant que plusieurs familles maronites s'y trouvaient rassemblées pour une noce. Heureusement, les conviés, avaient pu fuir à temps; mais le plus singulier, c'est que les coupables étaient des habitants de la même localité. Bethmérie, comme village mixte, contient environ cent cinquante chrétiens et une soixantaine de Druses. Les maisons de ces derniers sont séparées des autres par deux cents pas à peine. Par suite de cette hostilité, une lutte sanglante avait eu lieu, et le pacha s'était haté d'intervenir en établissant entre les deux parties du village un petit camp d'Albanais, qui vivait aux dépens des populations rivales.

Nous venions de finir notre repas, lorsque le cheik rentra dans sa maison. Après les premières civilités, il entama une longue conversation avec le prince, et se plaignit vivement de la présence des Albanais et du désarmement général qui avait eu lieu dans son district. Il lui semblait que cette mesure n'aurait d? s'exercer qu'à l'égard des Druses, seuls coupables d'attaque nocturne et d'incendie. De temps en temps, les deux chefs baissaient la voix, et, bien que je ne pusse saisir complètement le sens de leur discussion, je pensai qu'il était convenable de m'éloigner un peu sous prétexte de promenade.

Mon guide m'apprit en marchant que les chrétiens maronites de la province d'El Garb, où nous étions, avaient tenté précédemment d'expulser les Druses disséminés dans plusieurs villages, et que ces derniers avaient appelé à leur secours leurs coreligionnaires de l'Antiliban. De là une de ces luttes qui se renouvellent si souvent. La grande force des Maronites est dans la province du Kesrouan, située derrière Djéba?l et Tripoli, comme aussi la plus forte population des Druses habite les provinces situées de Beyrouth jusqu'à Saint-Jean-d'Acre. Le cheik de Bethmérie se plaignait sans doute au prince de ce que, dans la circonstance récente dont j'ai parlé, les gens du Kesrouan n'avaient pas bougé; mais ils n'en avaient pas eu le temps, les Turcs ayant mis le holà avec un empressement peu ordinaire de leur part. C'est que la querelle était survenue au moment de payer le miri. ?Payez d'abord, disaient les Turcs, ensuite vous vous battiez tant qu'il vous plaira.? Le moyen, en effet, de toucher des imp?ts chez des gens qui se ruinent et s'égorgent au moment même de la récolte?

Au bout de la ligne des maisons chrétiennes, je m'arrêtai sous un bouquet d'arbres, d'où l'on voyait la mer, qui brisait au loin ses flots argentés sur le sable. L'?il domine de là les croupes étagées des monts que nous avions franchis, le cours des petites rivières qui sillonnent les vallées, et le ruban jaunatre que trace le long de la mer cette belle route d'Antonin, où l'on voit sur les rochers des inscriptions romaines et des bas-reliefs persans. Je m'étais assis à l'ombre, lorsqu'on vint m'inviter à prendre du café chez un moudhir ou commandant turc, qui, je suppose, exer?ait une autorité momentanée par suite de l'occupation du village par les Albanais.

Je fus conduit dans une maison nouvellement décorée, en l'honneur sans doute de ce fonctionnaire, avec une belle natte des Indes couvrant le sol, un divan de tapisserie et des rideaux de soie. J'eus l'irrévérence d'entrer sans ?ter ma chaussure, malgré les observations des valets turcs, que je ne comprenais pas. Le moudhir leur fit signe de se taire, et m'indiqua une place sur le divan sans se lever lui-même. Il fit apporter du café et des pipes, et m'adressa quelques mots de politesse en s'interrompant de temps en temps pour appliquer son cachet sur des carrés de papier que lui passait son secrétaire, assis, près de lui, sur un tabouret.

Ce moudhir était jeune et d'une mine assez fière. Il commen?a par me questionner, en mauvais italien, avec toutes les banalités d'usage, sur la vapeur, sur Napoléon et sur la découverte prochaine d'un moyen pour traverser les airs. Après l'avoir satisfait là-dessus, je crus pouvoir lui demander quelques détails sur les populations qui nous entouraient. Il paraissait très réservé à cet égard; toutefois, il m'apprit que la querelle était venue, là comme sur plusieurs autres points, de ce que les Druses ne voulaient pas verser le tribut dans les mains des cheiks maronites, responsables envers le pacha. La même position existe d'une manière inverse dans les villages mixtes du pays des Druses. Je demandai au moudhir s'il y avait quelque difficulté à visiter l'autre partie du village.

-Allez où vous voudrez, dit-il; tous ces gens là sont fort paisibles depuis que nous sommes chez eux. Autrement, il aurait fallu vous battre pour les uns ou pour les autres, pour la croix blanche ou pour la main blanche.

Ce sont les signes qui distinguent les drapeaux des Maronites et ceux des Druses, dont le fond est également rouge d'ailleurs.

Je pris congé de ce Turc, et, comme je savais que mes compagnons resteraient encore à Bethmérie pendant la plus grande chaleur du jour, je me dirigeai vers le quartier des Druses, accompagné du seul Moussa. Le soleil était dans toute sa force, et, après avoir marché dix minutes, nous rencontrames les deux premières maisons. Il y avait devant celle de droite un jardin en terrasse où jouaient quelques enfants. Ils accoururent pour nous voir passer et poussèrent de grands cris qui firent sortir deux femmes de la maison. L'une d'elles portait le tantour, ce qui indiquait sa condition d'épouse ou de veuve; l'autre paraissait plus jeune, et avait la tête couverte d'un simple voile, qu'elle ramenait sur une partie de son visage. Toutefois, on pouvait distinguer leur physionomie, qui dans leurs mouvements apparaissait et se couvrait tour à tour comme la lune dans les nuages.

L'examen rapide que je pouvais en faire se complétait par les figures des enfants, toutes découvertes, et dont les traits, parfaitement formés, se rapprochaient de ceux des deux femmes. La plus jeune, me voyant arrêté, rentra dans la maison et revint avec une gargoulette de terre poreuse dont elle fit pencher le bec de mon c?té à travers les grosses feuilles de cactier qui bordaient la terrasse. Je m'approchai pour boire, bien que je n'eusse pas soif, puisque je venais de prendre des rafra?chissements chez le moudhir. L'autre femme, voyant que je n'avais bu qu'une gorgée, me dit:

-Tourid leben? (Est-ce du lait que tu veux?)

Je faisais un signe de refus, mais elle était déjà rentrée. En entendant ce mot leben, je me rappelai qu'il veut dire en allemand la vie. Le Liban tire aussi son nom de ce mot leben, et le doit à la blancheur des neiges qui couvrent ses montagnes, et que les Arabes, au travers des sables enflammés du désert, rêvent de loin comme le lait,-comme la vie! La bonne femme était accourue de nouveau avec une tasse de lait écumant. Je ne pus refuser d'en boire, et j'allais tirer quelques pièces de ma ceinture, lorsque, sur le mouvement seul de ma main, ces deux personnes firent des signes de refus très-énergiques. Je savais déjà que l'hospitalité a dans le Liban des habitudes plus qu'écossaises: je n'insistai pas.

Autant que j'en ai pu juger par l'aspect compare de ces femmes et de ces enfants, les traits de la population druse ont quelque rapport avec ceux de la race persane. Ce hale, qui répandait sa teinte ambrée sur les visages des petites filles, n'altérait pas la blancheur mate des deux femmes à demi voilées, de telle sorte qu'on pourrait croire que l'habitude de se couvrir le visage est, avant tout, chez les Levantines, une question de coquetterie. L'air vivifiant de la montagne et l'habitude du travail colorent fortement les lèvres et les joues. Le fard des Turques leur est donc inutile: cependant, comme chez ces dernières, la teinture ombre leurs paupières et prolonge l'arc de leurs sourcils.

J'allai plus loin: c'étaient toujours des maisons d'un étage au plus baties en pisé, les plus grandes en pierre rougeatre, avec des toits plats soutenus par des arceaux intérieurs, des escaliers en dehors montant jusqu'au toit, et dont tout le mobilier, comme on pouvait le voir par les fenêtres grillées ou les portes entr'ouvertes, consistait en lambris de cèdre sculptés, en nattes et en divans, les enfants et les femmes animant tout cela sans trop s'étonner du passage d'un étranger, ou m'adressant avec bienveillance le sal-kher (bonjour) accoutumé.

Arrivé au bout du village où finit le plateau de Bethmérie, j'aper?us de l'autre c?té de la vallée un couvent où Moussa voulait me conduire; mais la fatigue commen?ait à me gagner et le soleil était devenu insupportable: je m'assis à l'ombre d'un mur auquel je m'appuyai avec une sorte de somnolence due au peu de tranquillité de ma nuit. Un vieillard sortit de la maison, et m'engagea à venir me reposer chez lui. Je le remerciai, craignant qu'il ne f?t déjà tard et que mes compagnons ne s'inquiétassent de mon absence. Voyant aussi que je refusais tout rafra?chissement, il me dit que je ne devais pas le quitter sans accepter quelque chose. Alors, il alla chercher de petits abricots (mech-mech), et me les donna; puis il voulut encore m'accompagner jusqu'au bout de la rue. Il parut contrarié en apprenant par Moussa que j'avais déjeuné chez le cheik chrétien.

-C'est moi qui suis le cheik véritable, dit-il, et j'ai le droit de donner l'hospitalité aux étrangers.

Moussa me dit alors que ce vieillard avait été, en effet, le cheik ou seigneur du village du temps de l'émir Béchir; mais, comme il avait pris parti pour les égyptiens, l'autorité turque ne voulait plus le reconna?tre, et l'élection s'était portée sur un Maronite.

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III-LE MANOIR

Nous remontames à cheval vers trois heures, et nous redescend?mes dans la vallée au fond de laquelle coule une petite rivière. En suivant son cours, qui se dirige vers la mer, et remontant ensuite au milieu des rochers et des pins, traversant ?à et là des vallées fertiles plantées toujours de m?riers, d'oliviers et de cotonniers, entre lesquels on a semé le blé et l'orge, nous nous trouvames enfin sur le bord du Nahr-el Kelb, c'est-à-dire le fleuve du Chien, l'ancien Lycus, qui répand une eau rare entre les rochers rougeatres et les buissons de lauriers. Ce fleuve, qui, dans l'été, est à peine une rivière, prend sa source aux cimes neigeuses du haut Liban, ainsi que tous les autres cours d'eau qui sillonnent parallèlement cette c?te jusqu'à Antakieh, et qui vont se jeter dans la mer de Syrie. Les hautes terrasses du couvent d'Antoura s'élevaient à notre gauche, et les batiments semblaient tout près, quoique nous en fussions séparés par de profondes vallées. D'autres couvents grecs, maronites, ou appartenant aux lazaristes européens, apparaissaient, dominant de nombreux villages, et tout cela, qui, comme description, peut se rapporter simplement à la physionomie des Apennins ou des basses Alpes, est d'un effet de contraste prodigieux, quand on songe qu'on est en pays musulman, à quelques lieues du désert de Damas et des ruines poudreuses de Balbek. Ce qui fait aussi du Liban une petite Europe industrieuse, libre, intelligente surtout, c'est que là cesse l'impression de ces grandes chaleurs qui énervent les populations de l'Asie. Les cheiks et les habitants aisés ont, suivant les saisons, des résidences qui, plus haut ou plus bas dans des vallées étagées entre les monts, leur permettent de vivre au milieu d'un éternel printemps.

La zone où nous entrames au coucher du soleil, déjà très-élevée, mais protégée par deux cha?nes de sommets boisés, me parut d'une température délicieuse. Là commen?aient les propriétés du prince, ainsi que Moussa me l'apprit. Nous touchions donc au but de notre course; cependant ce ne fut qu'à la nuit fermée et après avoir traversé un bois de sycomores, où il était très-difficile de guider les chevaux, que nous aper??mes un groupe de batiments dominant un mamelon autour duquel tournait un chemin escarpé. C'était entièrement l'apparence d'un chateau gothique; quelques fenêtres éclairées découpaient leurs ogives étroites, qui formaient, du reste, l'unique décoration extérieure d'une cour carrée et d'une enceinte de grands murs. Toutefois, après qu'on nous eut ouvert une porte basse à cintre surbaissé, nous nous trouvames dans une vaste cour entourée de galeries soutenues par des colonnes. Des valets nombreux et des nègres s'empressaient autour des chevaux, et je fus introduit dans la salle basse ou serdar, vaste et décorée de divans, où nous pr?mes place en attendant le souper. Le prince, après avoir fait servir des rafra?chissements pour ses compagnons et pour moi, s'excusa sur l'heure avancée qui ne permettait pas de me présenter à sa famille, et entra dans cette partie de la maison qui, chez les chrétiens comme chez les Turcs, est spécialement consacrée aux femmes; il avait bu seulement avec nous un verre de vin d'or au moment où l'on apportait le souper.

Le lendemain, je m'éveillai au bruit que faisaient dans la cour les sa?s et les esclaves noirs occupés du soin des chevaux. Il y avait aussi beaucoup de montagnards qui apportaient des provisions, et quelques moines maronites en capuchon noir et en robe bleue, regardant tout avec un sourire bienveillant. Le prince descendit bient?t et me conduisit à un jardin en terrasse abrité de deux c?tés par les murailles du chateau, mais ayant vue au dehors sur la vallée où le Nahr-el-Kelb coule profondément encaissé. On cultivait dans ce petit espace des bananiers, des palmiers nains, des limoniers et autres arbres de la plaine, qui, sur ce plateau élevé, devenaient une rareté et une recherche de luxe. Je songeais un peu aux chatelaines dont les fenêtres grillées donnaient probablement sur ce petit éden; mais il n'en fut pas question. Le prince me parla longtemps de sa famille, des voyages que son grand-père avait faits en Europe et des honneurs qu'il y avait obtenus. Il s'exprimait fort bien en italien, comme la plupart des émirs et des cheiks du Liban, et paraissait disposé à faire quelque jour un voyage en France.

A l'heure du d?ner, c'est-à-dire vers midi, on me fit monter à une galerie haute, ouverte sur la cour, et dont le fond formait une sorte d'alc?ve garnie de divans avec un plancher en estrade; deux femmes très-parées étaient assises sur le divan, les jambes croisées à la manière turque, et une petite fille qui était près d'elles vint dès l'entrée me baiser la main, selon la coutume. J'aurais volontiers rendu à mon tour cet hommage aux deux dames, si je n'avais pensé que cela était contraire aux usages. Je saluai seulement, et je pris place avec le prince à une table de marqueterie qui supportait un large plateau chargé de mets. Au moment où j'allais m'asseoir, la petite fille m'apporta une serviette de soie longue et tramée d'argent à ses deux bouts. Les dames continuèrent, pendant le repas, à poser sur l'estrade comme des idoles. Seulement, quand la table fut ?tée, nous allames nous asseoir en face d'elles, et ce fut sur l'ordre de la plus agée qu'on apporta des narghilés.

Ces personnes étaient vêtues, par-dessus les gilets qui pressent la poitrine et le cheytian (pantalon) à longs plis, de longues robes de soie rayée; une lourde ceinture d'orfèvrerie, des parures de diamants et de rubis témoignaient d'un luxe très-général d'ailleurs en Syrie, même chez les femmes d'un moindre rang; quant à la corne que la ma?tresse de la maison balan?ait sur son front et qui lui faisait faire les mouvements d'un cygne, elle était de vermeil ciselé avec des incrustations de turquoises; les tresses de cheveux, entremêlés de grappes de sequins, ruisselaient sur les épaules, selon la mode générale du Levant. Les pieds de ces dames, repliés sur le divan, ignoraient l'usage du bas; ce qui, dans ces pays, est général, et ajoute à la beauté un moyen de séduction bien éloigné de nos idées. Des femmes qui marchent à peine, qui se livrent plusieurs fois le jour à des ablutions parfumées, dont les chaussures ne compriment point les doigts, arrivent, on le con?oit bien, à rendre leurs pieds aussi charmants que leurs mains; la teinture de henné, qui en rougit les ongles, ou les anneaux des chevilles, riches comme des bracelets, complètent la grace et le charme de cette portion de la femme, un peu trop sacrifiée chez nous à la gloire des cordonniers.

Les princesses me firent beaucoup de questions sur l'Europe et me parlèrent de plusieurs voyageurs qu'elles avaient vus déjà. C'étaient en général des légitimistes en pèlerinage vers Jérusalem, et l'on con?oit combien d'idées contradictoires se trouvent ainsi répandues, sur l'état de la France, parmi les chrétiens du Liban. On peut dire seulement que nos dissentiments politiques n'ont que peu d'influence sur des peuples dont la constitution sociale diffère beaucoup de la n?tre. Des catholiques obligés de reconna?tre comme suzerain l'empereur des Turcs n'ont pas d'opinion bien nette touchant notre état politique. Cependant ils ne se considèrent à l'égard du sultan que comme tributaires. Le véritable souverain est encore pour eux l'émir Béchir, livré au sultan par les Anglais après l'expédition de 1840.

En très-peu de temps, je me trouvai fort à mon aise dans cette famille, et je vis avec plaisir dispara?tre la cérémonie et l'étiquette du premier jour. Les princesses, vêtues simplement et comme les femmes ordinaires du pays, se mêlaient aux travaux de leurs gens, et la plus jeune descendait aux fontaines avec les filles du village, ainsi que la Rébecca de la Bible et la Nausicaa d'Homère. On s'occupait beaucoup dans ce moment-là de la récolte de la soie, et l'on me fit voir les cabanes, batiments d'une construction légère qui servent de magnanerie. Dans certaines salles, on nourrissait encore les vers sur des cadres superposés; dans d'autres, le sol était jonché d'épines coupées sur lesquelles les larves des vers avaient opéré leur transformation. Les cocons étoilaient comme des olives d'or les rameaux entassés et figurant d'épais buissons; il fallait ensuite les détacher et les exposer à des vapeurs soufrées pour détruire la chrysalide, puis dévider ces fils presque imperceptibles. Des centaines de femmes et d'enfants étaient employées à ce travail, dont les princesses avaient aussi la surveillance.

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IV-UNE CHASSE

Le lendemain de mon arrivée, qui était un jour de fête, on vint me réveiller dès le point du jour pour une chasse qui devait se faire avec éclat. J'allais m'excuser sur mon peu d'habileté dans cet exercice, craignant de compromettre, vis-à-vis de ces montagnards, la dignité européenne; mais il s'agissait simplement d'une chasse au faucon. Le préjugé qui ne permet aux Orientaux que la chasse des animaux nuisibles les a conduits, depuis des siècles, à se servir d'oiseaux de proie sur lesquels retombe la faute du sang répandu. La nature a toute la responsabilité de l'acte cruel commis par l'oiseau de proie. C'est ce qui explique comment cette sorte de chasse a toujours été particulière à l'Orient. A la suite des croisades, la mode s'en répandit chez nous.

Je pensais que les princesses daigneraient nous accompagner, ce qui aurait donné à ce divertissement un caractère tout chevaleresque; mais on ne les vit point para?tre. Des valets, chargés du soin des oiseaux, allèrent chercher les faucons dans des logettes situées à l'intérieur de la cour, et les remirent au prince et à deux de ses cousins, qui étaient les personnages les plus apparents de la troupe. Je préparais mon poing pour en recevoir un, lorsqu'on m'apprit que les faucons ne pouvaient être tenus que par des personnes connues d'eux. Il y en avait trois tout blancs, chaperonnés fort élégamment, et, comme on me l'expliqua, de cette race particulière à la Syrie, dont les yeux ont l'éclat de l'or.

Nous descend?mes dans la vallée, en suivant le cours du Nahr-el-Kelb, jusqu'à un point où l'horizon s'élargissait, et où de vastes prairies s'étendaient à l'ombre des noyers et des peupliers. La rivière, en faisant un coude, laissait échapper dans la plaine de vastes flaques d'eau à demi cachées par les joncs et les roseaux. On s'arrêta, et l'on attendit que les oiseaux, effrayés d'abord par le bruit des pas de chevaux, eussent repris leurs habitudes de mouvement ou de repos. Quand tout fut rendu au silence, on distingua, parmi les oiseaux qui poursuivaient les insectes du marécage, deux hérons occupés probablement de pêche, et dont le vol tra?ait de temps en temps des cercles au-dessus des herbes. Le moment était venu: on tira quelques coups de fusil pour faire monter les hérons, puis on décoiffa les faucons, et chacun des cavaliers qui les tenaient les lan?a en les encourageant par des cris.

Ces oiseaux commencent par voler au hasard, cherchant une proie quelconque; ils eurent bient?t aper?u les hérons, qui, attaqués isolément, se défendirent à coups de bec. Un instant, on craignit que l'un des faucons ne f?t percé par le bec de celui qu'il attaquait seul; mais, averti probablement du danger de la lutte, il alla se réunir à ses deux compagnons de perchoir. L'un des hérons, débarrassé de son ennemi, disparut dans l'épaisseur des arbres, tandis que l'autre s'élevait en droite ligne vers le ciel. Alors commen?a l'intérêt réel de la chasse. En vain le héron poursuivi s'était-il perdu dans l'espace, où nos yeux ne pouvaient plus le voir, les faucons le voyaient pour nous, et, ne pouvant le suivre si haut, attendaient qu'il redescendit. C'était un spectacle plein d'émotions que de voir planer ces trois combattants à peine visibles eux-mêmes, et dont la blancheur se fondait dans l'azur du ciel.

Au bout de dix minutes, le héron, fatigué ou peut-être ne pouvant plus respirer l'air trop raréfié de la zone qu'il parcourait, reparut à peu de distance des faucons, qui fondirent sur lui. Ce fut une lutte d'un instant, qui, se rapprochant de la terre, nous permit d'entendre les cris et de voir un mélange furieux d'ailes, de cols et de pattes enlacés. Tout à coup les quatre oiseaux tombèrent comme une masse dans l'herbe, et les piqueurs furent obligés de les chercher quelques moments. Enfin ils ramassèrent le héron, qui vivait encore, et dont ils coupèrent la gorge, afin qu'il ne souffr?t pas plus longtemps. Ils jetèrent alors aux faucons un morceau de chair coupé dans l'estomac de la proie, et rapportèrent en triomphe les dépouilles sanglantes du vaincu. Le prince me parla de chasses qu'il faisait quelquefois dans la vallée de Becqua, où l'on employait le faucon pour prendre des gazelles. Malheureusement, il y a quelque chose de plus cruel dans cette chasse que l'emploi même des armes; car les faucons sont dressés à s'aller poser sur la tête des pauvres gazelles, dont ils crèvent les yeux. Je n'étais nullement curieux d'assister à d'aussi tristes amusements.

Il y eut ce soir-là un banquet splendide auquel beaucoup de voisins avaient été conviés. On avait placé dans la cour beaucoup de petites tables à la turque, multipliées et disposées d'après le rang des invités. Le héron, victime triomphale de l'expédition, décorait avec son col dressé au moyen de fils de fer et ses ailes en éventail le point central de la table princière, placée sur une estrade, et où je fus invité à m'asseoir auprès d'un des pères lazaristes du couvent d'Antoura, qui se trouvait là à l'occasion de la fête. Des chanteurs et des musiciens étaient placés sur le perron de la cour, et la galerie inférieure était pleine de gens assis à d'autres petites tables de cinq à six personnes. Les plats, à peine entamés, passaient des premières tables aux autres, et finissaient par circuler dans la cour, où les montagnards, assis à terre, les recevaient à leur tour. On nous avait donné de vieux verres de Bohême; mais la plupart des convives buvaient dans des tasses qui faisaient la ronde. De longs cierges de cire éclairaient les tables principales. Le fond de la cuisine se composait de mouton grillé, de pilau en pyramide, jauni de poudre de cannelle et de safran, puis de fricassées, de poissons bouillis, de légumes farcis de viandes hachées, de melon d'eau, de bananes et autres fruits du pays. A la fin du repas, on porta des santés au bruit des instruments et aux cris joyeux de l'assemblée; la moitié des gens assis à table se levait et buvait à l'autre. Cela dura longtemps ainsi. Il va sans dire que les dames, après avoir assisté au commencement du repas, mais sans y prendre part, se retirèrent dans l'intérieur de la maison.

La fête se prolongea fort avant dans la nuit. En général, on ne peut rien distinguer dans la vie des émirs et cheiks maronites, qui diffère beaucoup de celle des autres Orientaux, si ce n'est ce mélange des coutumes arabes et de certains usages de nos époques féodales. C'est la transition de la vie de tribu, comme on la voit établie encore au pied de ces montagnes, à cette ère de civilisation moderne qui gagne et transforme déjà les cités industrieuses de la c?te. Il semble que l'on vive au milieu du XIIIe siècle fran?ais; mais, en même temps, on ne peut s'empêcher de penser à Saladin et à son frère Malek-Adel, que les Maronites se vantent d'avoir vaincu entre Beyrouth et Sa?da. Le lazariste auprès duquel j'étais placé pendant le repas (il se nommait le père Adam) me donna beaucoup de détails sur le clergé maronite. J'avais cru jusque-là que ce n'étaient que des catholiques médiocres, attendu la faculté qu'ils avaient de se marier. Ce n'est là toutefois qu'une tolérance accordée spécialement à l'église syrienne. Les femmes des curés sont appelées prêtresses par honneur, mais n'exercent aucune fonction sacerdotale. Le pape admet aussi l'existence d'un patriarche maronite, nommé par un conclave, et qui, au point de vue canonique, porte le titre d'évêque d'Antioche; mais ni le patriarche ni ses douze évêques suffragants ne peuvent être mariés.

* * *

V-LE KESROUAN

Nous allames le lendemain reconduire le père Adam à Antoura. C'est un édifice assez vaste au-dessus d'une terrasse qui domine tout le pays, et au bas de laquelle est un vaste jardin planté d'orangers énormes. L'enclos est traversé d'un ruisseau qui sort des montagnes et que re?oit un grand bassin. L'église est batie hors du couvent, qui se compose à l'intérieur d'un édifice assez vaste divisé en un double rang de cellules; les pères s'occupent, comme les autres moines de la montagne, de la culture de l'olivier et des vignes. Ils ont des classes pour les enfants du pays; leur bibliothèque contient beaucoup de livres imprimés dans la montagne, car il y a aussi là des moines imprimeurs, et j'y ai trouvé même la collection d'un journal-revue intitulé l'Ermite de la Montagne, dont la publication a cessé depuis quelques années. Le père Adam m'apprit que la première imprimerie avait été établie, il y a cent ans, à Mar-Hama, par un religieux d'Alep, nommé Abdallah Zeker, qui grava lui-même et fondit les caractères. Beaucoup de livres de religion, d'histoire et même des recueils de contes sont sortis de ces presses bénies. Il est assez curieux de voir en passant au bas des murs d'un couvent des feuilles imprimées qui sèchent au soleil. Du reste, les moines du Liban exercent toute sorte d'états, et ce n'est pas à eux qu'on reprochera la paresse.

Outre les couvents assez nombreux des lazaristes et des jésuites européens, qui aujourd'hui luttent d'influence et ne sont pas toujours amis, il y a dans le Kesrouan environ deux cents couvents de moines réguliers, sans compter un grand nombre d'ermitages dans le pays de Mar-élicha. On rencontre aussi de nombreux couvents de femmes consacrés la plupart à l'éducation. Tout cela ne forme-t-il pas un personnel religieux bien considérable pour un pays de cent dix lieues carrées, qui ne compte pas deux cent mille habitants? Il est vrai que cette portion de l'ancienne Phénicie a toujours été célèbre par l'ardeur de ses croyances. A quelques lieues du point où nous étions coule le Nahr-Ibrahim, l'ancien Adonis, qui se teint de rouge encore au printemps à l'époque où l'on pleurait jadis la mort du symbolique favori de Vénus. C'est près de l'endroit où cette rivière se jette dans la mer qu'est située Djéba?l, l'ancienne Byblos, où naquit Adonis, fils, comme on sait, de Cynire-et de Myrrha, la propre fille de ce roi phénicien. Ces souvenirs de la Fable, ces adorations, ces honneurs divins rendus jadis à l'inceste et à l'adultère indignent encore les bons religieux lazaristes. Quant aux moines maronites, ils ont le bonheur de les ignorer profondément.

Le prince voulut bien m'accompagner et me guider dans plusieurs excursions à travers cette province du Kesrouan, que je n'aurais crue ni si vaste ni si peuplée. Gazir, la ville principale, qui a cinq églises et une population de six mille ames, est la résidence de la famille Hobe?sch, l'une des trois plus nobles de la nation maronite; les deux autres sont les Avaki et les Khazen. Les descendants de ces trois maisons se comptent par centaines, et la coutume du Liban, qui veut le partage égal des biens entre les frères, a réduit beaucoup nécessairement l'apanage de chacun. Cela explique la plaisanterie locale qui appelle certains de ces émirs princes d'olive et de fromage, en faisant allusion à leurs maigres moyens d'existence.

Les plus vastes propriétés appartiennent à la famille Khazen, qui réside à Zouk-Mikel, ville plus peuplée encore que Gazir. Louis XIV contribua beaucoup à l'éclat de cette famille, en confiant à plusieurs de ses membres des fonctions consulaires. Il y a en tout cinq districts dans la partie de la province dite le Kesrouan Gazir, et trois dans le Kesrouan Bekfaya, situé du c?té de Balbek et de Damas. Chacun de ces districts comprend un chef-lieu gouverné d'ordinaire par un émir, et une douzaine de villages ou paroisses placés sous l'autorité des cheiks. L'édifice féodal ainsi constitué aboutit à l'émir de la province, qui, lui-même, tient ses pouvoirs du grand émir résidant à De?r-Khamar. Ce dernier étant aujourd'hui captif des Turcs, son autorité a été déléguée à deux ka?makams ou gouverneurs, l'un Maronite, l'autre Druse, forcés de soumettre aux pachas toutes les questions d'ordre politique.

Cette disposition a l'inconvénient d'entretenir entre les deux peuples un antagonisme d'intérêts et d'influences qui n'existait pas lorsqu'ils vivaient réunis sous un même prince. La grande pensée de l'émir Fakardin, qui avait été de mélanger les populations et d'effacer les préjugés de race et de religion, se trouve prise à contre-pied, et l'on tend à former deux nations ennemies là où il n'en existait qu'une seule, unie par des liens de solidarité et de tolérance mutuelle.

On se demande quelquefois comment les souverains du Liban parvenaient à s'assurer la sympathie et la fidélité de tant de peuples de religions diverses. A ce propos, le père Adam me disait que l'émir Béchir était chrétien par son baptême, Turc par sa vie et Druse par sa mort, ce dernier peuple ayant le droit immémorial d'ensevelir les souverains de la montagne. Il me racontait encore une anecdote locale analogue. Un Druse et un Maronite qui faisaient route ensemble s'étaient demandé:

-Mais quelle est donc la religion de notre souverain?

-Il est Druse, disait l'un.

-Il est chrétien, disait l'autre.

Un métuali (sectaire musulman) qui passait est choisi pour arbitre, et n'hésite pas à répondre:

-Il est Turc.

Ces braves gens, plus irrésolus que jamais, conviennent d'aller chez l'émir lui demander de les mettre d'accord. L'émir Béchir les re?ut fort bien, et, une fois au courant de leur querelle, dit en se tournant vers son vizir:

-Voilà des gens bien curieux! Qu'on leur tranche la tête à tous les trois!

Sans ajouter une croyance exagérée à la sanglante affabulation de cette histoire, on peut y reconna?tre la politique éternelle des grands émirs du Liban. Il est très-vrai que leur palais contient une église, une mosquée et un khalouè (temple druse). Ce fut longtemps le triomphe de leur politique, et c'en est peut-être devenu l'écueil.

* * *

VI-UN COMBAT

J'acceptais avec bonheur cette vie des montagnes, dans une atmosphère tempérée, au milieu de m?urs à peine différentes de celles que nous voyons dans nos provinces du Midi. C'était un repos pour les longs mois passés sous les ardeurs du soleil d'égypte; et, quant aux personnes, c'était, ce dont l'ame a besoin, cette sympathie qui n'est jamais entière de la part des musulmans, ou qui, chez la plupart, est contrariée par les préjugés de race. Je retrouvais dans la lecture, dans la conversation, dans les idées, ces choses de l'Europe que nous fuyons par ennui, par fatigue, mais que nous rêvons de nouveau après un certain temps, comme nous avions rêvé l'inattendu, l'étrange, pour ne pas dire l'inconnu. Ce n'est pas avouer que notre monde vaille mieux que celui-là, c'est seulement retomber insensiblement dans les impressions d'enfance, c'est accepter le joug commun. On lit dans une pièce de vers de Henri Heine l'apologue d'un sapin du Nord couvert de neige, qui demande le sable aride et le ciel de feu du désert, tandis qu'à la même heure un palmier br?lé par l'atmosphère aride des plaines d'égypte demande à respirer dans les brumes du Nord, à se baigner dans la neige fondue, à plonger ses racines dans le sol glacé.

Par un tel esprit de contraste et d'inquiétude, je songeais déjà à retourner dans la plaine, me disant, après tout, que je n'étais pas venu en Orient pour passer mon temps dans un paysage des Alpes; mais, un soir, j'entends tout le monde causer avec inquiétude; des moines descendent des couvents voisins, tout effarés; on parle des Druses qui sont venus en nombre de leurs provinces et qui se sont jetés sur les cantons mixtes, désarmés par ordre du pacha de Beyrouth. Le Kesrouan, qui fait partie du pachalik de Tripoli, a conservé ses armes; il faut donc aller soutenir des frères sans défense, il faut passer le Nahr-el-Kelb, qui est la limite des deux pays, véritable Rubicon, qui n'est franchi que dans des circonstances graves. Les montagnards armés se pressaient impatiemment autour du village et dans les prairies. Des cavaliers parcouraient les localités voisines en jetant le vieux cri de guerre: ?Zèle de Dieu! zèle des combats!?

Le prince me prit à part et me dit:

-Je ne sais ce que c'est; les rapports qu'on nous fait sont exagérés peut-être, mais nous allons toujours nous tenir prêts à secourir nos voisins. Le secours des pachas arrive toujours quand le mal est fait.... Vous feriez bien, quant à vous, de vous rendre au couvent d'Antoura, ou de regagner Beyrouth par la mer.

-Non, lui dis-je; laissez-moi vous accompagner. Ayant eu le malheur de na?tre dans une époque peu guerrière, je n'ai encore vu de combats que dans l'intérieur de nos villes d'Europe, et de tristes combats, je vous jure! Nos montagnes, à nous, étaient des groupes de maisons, et nos vallées des places et des rues! Que je puisse assister, dans ma vie, à une lutte un peu grandiose, à une guerre religieuse. Il serait si beau de mourir pour la cause que vous défendez!

Je disais, je pensais ces choses; l'enthousiasme environnant m'avait gagné; je passai la nuit suivante à rêver des exploits qui nécessairement m'ouvraient les plus hautes destinées.

Au point du jour, quand le prince monta à cheval, dans la cour, avec ses hommes, je me disposais à en faire autant; mais le jeune Moussa s'opposa résolument à ce que je me servisse du cheval qui m'avait été loué à Beyrouth: il était chargé de le ramener vivant, et craignait avec raison les chances d'une expédition guerrière.

Je compris la justesse de sa réclamation, et j'acceptai un des chevaux du prince. Nous passames enfin la rivière, étant tout au plus une douzaine de cavaliers sur peut-être trois cents hommes.

Après quatre heures de marche, on s'arrêta près du couvent de Mar Hama, où beaucoup de montagnards vinrent encore nous rejoindre. Les moines basiliens nous donnèrent à déjeuner; mais, selon eux, il fallait attendre: rien n'annon?ait que les Druses eussent envahi le district. Cependant les nouveaux arrivés exprimaient un avis contraire, et l'on résolut d'avancer encore. Nous avions laissé les chevaux pour couper au court à travers les bois, et, vers le soir, après quelques alertes, nous entend?mes des coups de fusil répercutés par les rochers.

Je m'étais séparé du prince en gravissant une c?te pour arriver à un village qu'on apercevait au-dessus des arbres, et je me trouvai avec quelques hommes au bas d'un escalier de terrasses cultivées; plusieurs d'entre eux semblèrent se concerter, puis ils se mirent à attaquer la haie de cactus qui formait cl?ture, et, pensant qu'il s'agissait de pénétrer jusqu'à des ennemis cachés, j'en fis autant avec mon yatagan; les spatules épineuses roulaient à terre comme des têtes coupées, et la brèche ne tarda pas à nous donner passage. Là, mes compagnons se répandirent dans l'enclos, et, ne trouvant personne, se mirent à hacher les pieds de m?riers et d'oliviers avec une rage extraordinaire. L'un d'eux, voyant que je ne faisais rien, voulut me donner une cognée, je le repoussai; ce spectacle de destruction me révoltait. Je venais de reconna?tre que le lieu où nous nous trouvions n'était autre que la partie druse du village de Bethmérie où j'avais été si bien accueilli quelques jours auparavant.

Heureusement, je vis de loin le gros de nos gens qui arrivait sur le plateau, et je rejoignis le prince, qui paraissait dans une grande irritation. Je m'approchai de lui pour lui demander si nous n'avions d'ennemis à combattre que des cactus et des m?riers; mais il déplorait déjà tout ce qui venait d'arriver, et s'occupait à empêcher que l'on ne mit le feu aux maisons. Voyant quelques Maronites qui s'en approchaient avec des branches de sapin allumées, il leur ordonna de revenir. Les Maronites l'entourèrent en criant:

-Les Druses ont fait cela chez les chrétiens; aujourd'hui, nous sommes forts, il faut leur rendre la pareille!

Le prince hésitait à ces mots, parce que la loi du talion est sacrée parmi les montagnards. Pour un meurtre, il en faut un autre, et de même pour les dégats et les incendies. Je tentai de lui faire remarquer qu'on avait déjà coupé beaucoup d'arbres, et que cela pouvait passer pour une compensation. Il trouva une raison plus concluante à donner.

-Ne voyez-vous pas, leur dit-il, que l'incendie serait aper?u de Beyrouth? Les Albanais seraient envoyés de nouveau ici!

Cette considération finit par calmer les esprits. Cependant on n'avait trouvé dans les maisons qu'un vieillard coiffé d'un turban blanc, qu'on amena, et dans lequel je reconnus aussit?t le bonhomme qui, lors de mon passage à Bethmérie, m'avait offert de me reposer chez lui. On le conduisit chez le cheik chrétien, qui paraissait un peu embarrassé de tout ce tumulte, et qui cherchait, ainsi que le prince, à réprimer l'agitation. Le vieillard druse gardait un maintien fort tranquille, et dit en regardant le prince:

-La paix soit avec toi, Miran; que viens-tu faire dans notre pays?

-Où sont tes frères? dit le prince. Ils ont fui sans doute en nous apercevant de loin.

-Tu sais que ce n'est pas leur habitude, dit le vieillard; mais ils se trouvaient quelques uns seulement contre tout ton peuple; ils ont emmené loin d'ici les femmes et les enfants. Moi, j'ai voulu rester.

-On nous a dit pourtant que vous aviez appelé les Druses de l'autre montagne et qu'ils étaient en grand nombre.

-On vous a trompés. Vous avez écouté de mauvaises gens, des étrangers qui eussent été contents de nous faire égorger, afin qu'ensuite nos frères vinssent ici nous venger sur vous!

Le vieillard était resté debout pendant cette explication. Le cheik, chez lequel nous étions, parut frappé de ses paroles, et lui dit:

-Te crois-tu prisonnier ici? Nous f?mes amis autrefois; pourquoi ne t'assieds-tu pas avec nous?

-Parce que tu es dans ma maison, dit le vieillard.

-Allons, dit le cheik chrétien, oublions tout cela. Prends place sur ce divan; on va t'apporter du café et une pipe.

-Ne sais-tu pas, dit le vieillard, qu'un Druse n'accepte jamais rien chez les Turcs ni chez leurs amis, de peur que ce ne soit le produit des exactions et des imp?ts injustes?

-Un ami des Turcs? Je ne le suis pas!

-N'ont-ils pas fait de toi un cheik, tandis que c'est moi qui l'étais dans le village du temps d'Ibrahim, et alors ta race et la mienne vivaient en paix? N'est-ce pas toi aussi qui es allé te plaindre au pacha pour une affaire de tapageurs, une maison br?lée, une querelle de bons voisins, que nous aurions vidée facilement entre nous?

Le cheik secoua la tête sans répondre; mais le prince coupa court à l'explication, et sortit de la maison en tenant le Druse par la main.

-Tu prendras bien le café avec moi, qui n'ai rien accepté des Turcs? lui dit-il.

Et il ordonna à son cafedji de lui en servir sous les arbres.

-J'étais un ami de ton père, dit le vieillard, et, dans ce temps-là, Druses et Maronites vivaient en paix.

Et ils se mirent à causer longtemps de l'époque où les deux peuples étaient réunis sous le gouvernement de la famille Schehab, et n'étaient pas abandonnés à l'arbitraire des vainqueurs.

Il fut convenu que le prince remmènerait tout son monde, que les Druses reviendraient dans le village sans appeler des secours éloignés, et que l'on considérerait le dégat qui venait d'être fait chez eux comme une compensation de l'incendie précédent d'une maison chrétienne.

Ainsi se termina cette terrible expédition, où je m'étais promis de recueillir tant de gloire; mais toutes les querelles des villages mixtes ne trouvent pas des arbitres aussi conciliants que l'avait été le prince Abou-Miran. Cependant il faut dire que, si l'on peut citer des assassinats isolés, les querelles générales sont rarement sanglantes. C'est un peu alors comme les combats des Espagnols, où l'on se poursuit dans les monts sans se rencontrer, parce que l'un des partis se cache toujours quand l'autre est en force. On crie beaucoup, on br?le des maisons, on coupe des arbres, et les bulletins, rédigés par des intéressés, donnent seuls le compte des morts.

Au fond, ces peuples s'estiment entre eux plus qu'on ne croit, et ne peuvent oublier les liens qui les unissaient jadis. Tourmentés et excités soit par les missionnaires, soit par les moines, dans l'intérêt des influences européennes, ils se ménagent à la manière des condottieri d'autrefois, qui livraient de grands combats sans effusion de sang. Les moines prêchent, il faut bien courir aux armes; les missionnaires anglais déclament et payent, il faut bien se montrer vaillants; mais il y a au fond de tout cela doute et découragement. Chacun comprend déjà ce que veulent quelques puissances de l'Europe, divisées de but et d'intérêt et secondées par l'imprévoyance des Turcs. En suscitant des querelles dans les villages mixtes, on croit avoir prouvé la nécessité d'une entière séparation entre les deux races autrefois unies et solidaires. Le travail qui se fait en ce moment dans le Liban sous couleur de pacification consiste à opérer l'échange des propriétés qu'ont les Druses dans les cantons chrétiens contre celles qu'ont les chrétiens dans les cantons druses. Alors, plus de ces luttes intestines tant de fois exagérées; seulement, on aura deux peuples bien distincts, dont l'un sera placé peut-être sous la protection de l'Autriche, et l'autre sous celle de l'Angleterre. Il serait alors difficile que la France recouvrat l'influence qui, du temps de Louis XIV, s'étendait également sur la race druse et la race maronite.

Il ne m'appartient pas de me prononcer sur d'aussi graves intérêts. Je regretterai seulement de n'avoir point pris part dans le Liban à des luttes plus homériques.

Je dus bient?t quitter le prince pour me rendre sur un autre point de la montagne. Cependant la renommée de l'affaire de Bethmérie grandissait sur mon passage; grace à l'imagination bouillante des moines italiens, ce combat contre des m?riers avait pris peu à peu les proportions d'une croisade.

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