Adama, lui, marchait seul dans la brousse. Il avait besoin de silence. De réfléchir. Sa cachette était menacée. Sa paix, fragile. Et son amour naissant pour Awa semblait plus en danger que jamais. Que ferait-elle si son père décidait de le reprendre de force ? Que penserait-elle si le village le rejetait à cause de ses origines ?
Il s'assit sur une pierre, face à un petit ruisseau. L'eau coulait doucement, sans jamais revenir en arrière. Comme lui, peut-être. Trop loin de son passé pour y retourner, mais encore trop proche pour l'oublier.
Des pas derrière lui. C'était Awa.
- On t'a cherché partout, dit-elle doucement.
- J'avais besoin d'air.
Elle s'assit à côté de lui, sans parler tout de suite. Puis elle demanda :
- Tu vas repartir ?
- Je ne sais pas. Le messager ne m'a pas encore reconnu, mais ça ne durera pas. Et s'il parle de moi dans un autre village, d'autres viendront. Plus insistants. Plus dangereux.
Awa soupira.
- Je ne veux pas que tu partes.
Adama la regarda.
- Et si je restais... et que ton peuple me rejetait ?
- Alors je me tiendrai à tes côtés. Tu crois que c'est facile pour moi non plus ? J'ai toujours suivi mes règles. Et voilà que je tombe amoureuse d'un prince fugitif.
Il la fixa, surpris.
- Tu m'aimes ?
Elle détourna le regard, gênée.
- Je n'aime pas dire les choses. Je préfère les vivre.
Il lui prit la main.
- Moi aussi.
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Au village, les anciens se réunirent en cercle, sous le grand arbre de la place. Le vieux Tierno prit la parole.
- Mes frères, mes sœurs... le vent de la royauté souffle sur notre paix. Le fils du roi Demba est parmi nous. Il vit sous le nom d'Ibrahim. Et il a appris à être des nôtres.
Un murmure parcourut l'assemblée. Certains étaient choqués, d'autres pas surpris.
- Il a travaillé, il a souffert, il a partagé notre quotidien. Il aime une fille du village. Il a mangé notre mil, bu notre eau. Est-ce que nous devons le chasser pour ce qu'il a fui ? Ou l'accepter pour ce qu'il est devenu ?
Une vieille femme, Maïmouna, se leva.
- Moi, je dis qu'un homme qui fuit l'or pour la terre mérite notre respect. Il a choisi l'humilité.
Un autre ajouta :
- Tant qu'il ne cherche pas à nous imposer ses lois, il est des nôtres.
Tierno hocha la tête.
- Alors nous le protégerons. Mais s'il met notre paix en danger... il devra partir de lui-même.
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Quand Adama revint au village, Awa lui raconta tout. Le conseil. Le soutien. Mais aussi l'avertissement.
- Ils t'aiment, mais ils ont peur. Ils ne veulent pas que la guerre vienne ici.
- Et moi non plus.
Le soir même, il alla voir Tierno.
- Père, si ma présence devient un danger, je partirai. Je ne veux pas être la cause de la souffrance de ce peuple.
Le vieux le regarda longtemps, puis lui dit :
- Tu n'es plus un enfant. Tu es un homme. Et les vrais hommes ne fuient pas tout le temps. Parfois, ils se battent pour ce qu'ils aiment.
Adama baissa la tête, ému.
- Alors je resterai. Jusqu'à ce que le destin en décide autrement.
Tierno sourit.
- Que les esprits t'entendent.
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Mais loin de Kéran, dans la grande cour de Sogoya, le roi Demba, vieillissant, regardait le portrait de son fils avec nostalgie et colère mêlées.
- Préparez mes cavaliers, dit-il à son conseiller. Je veux qu'on retrouve Adama. Où qu'il soit.
Le palais venait de se mettre en marche.
Et l'ombre du trône s'approchait dangereusement du petit village.